Coquilles d’oeufs, épluchures de légumes, sacs-poubelles, racines… Dans Still, Life Robin Lopvet braque son objectif sur nos restes du quotidien. En résultent des natures non pas mortes, mais bien vivantes qui laissent imaginer tous les excès de nos modes de consommation. Un portfolio à retrouver dans notre dernier numéro.
« Je viens d’un milieu populaire. J’ai grandi en HLM, là où finir son assiette est un mode de vie », raconte Robin Lopvet. Depuis, il a forcé la porte du monde de l’art et s’amuse à imaginer des créations burlesques en parallèle de ses commandes pour l’industrie du luxe. Son mode de vie a alors changé, l’assiette a volé en éclats – du moins, si l’on en croit les images de sa dernière série Still, Life. Dans celle-ci, des natures non pas mortes, mais bien ostensiblement vivantes qui laissent imaginer tous les excès de nos modes de consommation. Credo d’une classe sociale, l’anti-gaspillage rime avec créativité pour l’artiste français car, dans ses compositions inspirées, déchets, nourriture et autres détritus fusionnent et prennent vie. « “Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme.” Cette formule résume pour moi toute ma création artistique », avance-t-il en guise d’introduction à sa pratique. La célèbre maxime attribuée de manière apocryphe au chimiste Antoine Lavoisier pourrait être le slogan de ce mouvement post-photographique, où la matière brute va de pair avec le recyclage. Coquilles d’oeufs, épluchures de légumes, sacs-poubelles, racines… Harmonieusement assemblés, tous ces éléments se métamorphosent et s’embrassent dans une cacophonie nouvelle, visuellement délirante. Comme transporté dans la plus ordonnée des décharges, notre regard circule au milieu de ces déchets entièrement remodelés en postproduction. Étirés, enlacés, déchirés, mélangés, entrecoupés, juxtaposés et même enchaînés par toute la virtuosité numérique de l’artiste, les corps prennent vie. « L’idée du gaspillage alimentaire dans une société où certains n’ont pas de quoi se nourrir est écoeurante. Je documente cette absurdité en utilisant les techniques que j’ai apprises dans le monde de l’image de luxe. J’applique alors ma touche personnelle aux déchets, à ce que la société ne veut plus voir, aux productions humaines dont personne ne revendique la propriété », raconte le Photoshop virtuoso Robin Lopvet.
En s’inscrivant dans la tradition de la nature morte, l’auteur pose un regard sensible et braque ses projecteurs sur ces restes du quotidien. Ces débris magnifiés et mis en scène reprennent vie et dénoncent de manière criante le gaspillage alimentaire de nos sociétés. Ce dont personne ne revendique la propriété, qui nous fait honte et met en exergue nos contradictions, le photographe nous l’impose dans ses compositions-collages. Car malgré l’humour et la dérision propre à l’auteur, la réalité ne peut que faire rougir. Allégories de la mort, de l’organique en décomposition, ses images sont autant de vanités revisitées par un imaginaire pop. « Still, Life interroge notre rapport à la consommation. Le propos est évidemment écologique, mais je ne me positionne pas en tant que militant. Le sujet est à la fois universel et contemporain. Et je ne suis pas exemplaire : je récupère des meubles dans la rue, mais je commande aussi sur Amazon. Je fais également partie du problème, comme tout le monde. » Et comme nous le rappelle l’artiste, représenter l’anodin est, « depuis l’asperge de Manet », l’un des grands enjeux artistiques de la modernité. En focalisant l’art sur la culture populaire, l’artiste pointe du doigt les aberrations d’un quotidien qui nous concerne tous.
Cet article est à retrouver dans Fisheye #53, disponible ici.
Robin Lopvet expose à Romainville dans le cadre du 72e festival d’Art contemporain, jusqu’au 15 mai 2022.
© Robin Lopvet