Sorcières, médiums… L’histoire regorge de femmes détenant d’étranges pouvoirs, communiquant avec l’au-delà. À travers des documents et images d’archives, et guidé par Philippe Baudouin, expert du spiritualisme, Fisheye revient sur leur existence, et leur don. Cet article est à retrouver dans notre dernier numéro.
« Les femmes médiums dégagent une aura particulière. Leurs gestes, leurs pouvoirs, leurs silhouettes en sont empreints. Suscitant tantôt la crainte tantôt la fascination, elle leur confère une autorité exceptionnelle à tous égards, cette “force irrésistible” dont Gustave Le Bon dit qu’elle est “le plus puissant ressort de toute domination”, en ce qu’elle “paralyse toutes les facultés critiques et remplit l’âme d’étonnement et de respect” », écrit Philippe Baudouin dans Surnaturelles. Une histoire visuelle des femmes médiums. Auteur de nombreux ouvrages sur le spiritisme, il a consacré pas moins de cinq années à rassembler l’iconographie exceptionnelle de cet opus dédié aux femmes médiums. L’histoire qu’il nous raconte à travers ces documents nous donne à voir et à décrypter plusieurs courants qui traversent la société durant un siècle, de 1848 à 1950. Une histoire où les femmes occupent le premier plan, et dont les origines remontent bien au-delà.
« Ces figures de voyantes, de guérisseuses et de visionnaires, ces médiatrices entre vivants et morts ne sont pas nouvelles, elles sont présentes dans tous les temps de l’histoire et dans tous les espaces géographiques », rappelle Nicole Edelman dans la préface de Surnaturelles. L’agrégée d’histoire est la première, à l’université, à s’être saisie de la question du spiritisme en étudiant plus particulièrement le rôle et le parcours des femmes dans ce mouvement. Des pythies de l’Antiquité délivrant leurs oracles en passant par les sorcières au Moyen Âge, l’histoire est jalonnée de femmes aux pouvoirs extraordinaires – au sens strict du terme. « Parce qu’il y a toujours cet a priori qui considère le corps et l’esprit des femmes comme un réceptacle dans l’histoire des sciences, avec une grande porosité à ces phénomènes qui seraient dus à leur hyper émotivité, leur passivité, et qu’on va retrouver de manière assumée dans le spiritisme », analyse Philippe Baudouin.
© University of Manitoba/archives & Special Collections – Hamilton Family Fonds
Avant même que le terme « spiritisme » n’existe, Nicole Edelman mentionne l’apparition des femmes médiums dans le monde occidental à la fin du 18e siècle. « Les premières naissent en 1784, nommées alors “somnambules magnétiques” », précise l’autrice de Voyantes, guérisseuses, visionnaires en France. 1875-1914 (Albin Michel, 2014). Ce somnambulisme magnétique, avant d’être rebaptisé « hypnose » en 1843, confère de nombreux pouvoirs à celles – la plupart sont des femmes – qui le pratiquent. Elles disent « avoir la capacité de guérir leur maladie mais aussi celles des autres, affirment voir l’avenir et le passé, et rencontrer des esprits de morts », poursuit Nicole Edelman. C’est justement l’esprit d’un mort qui frappe à la porte de l’histoire et déclenche une curiosité sans bornes autour de cette communication avec l’au-delà qui va faire tourner les tables et les esprits, aux États-Unis puis en Europe.
Il nous faut traverser l’Atlantique et nous rendre dans le cottage de Hydesville, dans l’État de New York, pour rejoindre Kate et Margaret Fox. Ces deux sœurs, âgées respectivement de 11 et 14 ans, entendent pendant la nuit des coups frappés dans leur maison – des coups qui avaient fait fuir le précédent locataire. « Le 31 mars 1848, leur intensité est telle que, pour éclairer leur mystère, l’aînée des filles décide de taper des mains à plusieurs reprises, invitant ainsi l’auteur invisible de ces coups à leur répondre, rapporte Philippe Baudouin. La mère des jeunes filles inter- vient et engage alors la conversation : “Si tu es un esprit, frappe deux coups.” Deux coups sont frappés. “Es-tu mort de mort violente?”, poursuit-elle. Deux coups. “Dans cette maison?” Deux coups. “Le meurtrier est-il vivant ?” Deux coups encore. » En utilisant un alphabet, les sœurs identifient leur mystérieux interlocuteur: un colporteur qui s’est fait trancher la gorge et dépouiller avant d’être enterré à la cave. L’annonce de ces événements dans la presse locale va se répandre comme une traînée de poudre et enflammer les esprits. En 1849, les sœurs Fox se produisent pour la première fois en public. Une tournée est organisée à travers tout le pays. En 1852, on compte près de 500 000 adeptes des tables tournantes. « C’est une hallucination de presque tout un peuple, écrit un correspondant français en 1853. Les sœurs Fox circulent et répandent la révélation nouvelle de “bruits de l’au-delà”. »
© Harry Price Archive/Senate House Library/University of London
Le spiritualisme, notion du 18e siècle qui fait état de l’existence d’âme humaine, laisse place au Modern Spiritualism américain né dans le sillage des sœurs Fox, avant de se transformer en spiritisme, avec l’apport d’Allan Kardec et la publication de son ouvrage Le Livre des esprits, en 1857. Pour cet auteur français, « le spiritisme sera féminin ou ne sera pas, synthétise Philippe Baudouin. La condition féminine lui tient à cœur, parce que la femme médium est dotée de capacités extraordinaires à se rendre poreuse avec l’au-delà. Ce qui est propre au corps de certaines femmes. » Le corps des femmes est très clairement pensé comme un instrument permettant de communiquer avec d’autres mondes. « La tâche des médiums, précise Allan Kardec, est celle d’une machine électrique qui transmet les dépêches télégraphiques d’un point éloigné à un autre point éloigné de la Terre. Ainsi, quand nous voulons dicter une communication, nous agissons sur le médium comme l’employé du télégraphe sur son appareil. » Cette conception du corps des femmes comme « outil de passage » se matérialise également avec les ectoplasmes que les médiums extériorisent par leur bouche, leur nez ou d’autres orifices, tels de monstrueux accouchements. « Les gémissements et les efforts du médium en transe, remarque le médecin Gustave Geley, rappellent étrangement ceux de la femme en couche. Dans certains cas, les formations matérialisées se présentent comme dans un œuf de substance. J’ai également vu, maintes fois, une main se présenter, enveloppée d’une membrane qui évoquait trait pour trait la membrane placentaire. » En France, la curiosité pour ces phénomènes paranormaux est déjà très vive, comme en témoigne le physicien et académicien François Arago. Celui qui a présenté la photographie à l’Académie des Sciences et des Beaux-Arts en 1839 demeure fasciné par Angélique Cottin, surnommée la fille électrique, dont la simple présence suffit à mettre en mouvement meubles et objets. On pense aussi à Victor Hugo, qui est l’un des premiers à faire tourner les tables dans son exil à Jersey…
Cet article est à retrouver en intégralité dans Fisheye #51, disponible ici.
© Archives Camille Flammarion/Société astronomique de France
© à g. Albert von Schrenck-Notzing/Adoc-photos, à d. William Marriott archive/Senate house library/university of London
© Bibliothèque Sainte-Geneviève/Paris
© University of Manitoba/archives & Special Collections – Hamilton Family Fonds
© à g. Bright bytes Studio/Jack & Beverly Wilgus, à d. Missouri Histórical Society
© University of Manitoba/archives & Special Collections – Hamilton Family Fonds
Image d’ouverture : © William Marriott archive/Senate house library/university of London