Au travers de ses abstractions, Olivier Degen donne à voir l’invisible

30 décembre 2021   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Au travers de ses abstractions, Olivier Degen donne à voir l'invisible

Dans Abstract, le photographe français Olivier Degen redéfinit l’abstraction en donnant à voir ce que l’œil accoutumé ne perçoit plus. Une invitation à redécouvrir le monde qui nous entoure de la plus poétique des manières.

Des oiseaux dans le ciel dégagé, des paysages en mouvement, des êtres en suspens… Les images en noir et blanc d’Olivier Degen trahissent son émerveillement face au monde alentour. Car le photographe français autodidacte a tout du flâneur baudelairien qui observe, saisit et contemple l’instant fugitif. Tel un peintre de la vie moderne, il s’immisce çà et là, discrètement, et donne à voir ces détails devenus invisibles pour nombreux d’entre nous. Pour décrire sa pratique, le musicien Louis Sclavis suggère ainsi, à juste titre, un « objectif [qui] préfère la caresse à l’attaque frontale ». Au fil des 180 pages qui composent Abstract se déploie un regard délicat, empreint d’une poésie gracile qui surgit de toute chose. Parmi les références qu’il cite spontanément, nous retrouvons Robert Franck, Bernard Plossu, Shōji Ueda ou encore Sergio Larrain. Mais il y a aussi les œuvres d’Eva Hesse et de Rebecca Horn, les airs de Ravel ou de Michel Portal, les textes d’Aimé Césaire ou de Patti Smith… Autant d’artistes que de domaines dans lesquels Olivier Degen puise sa créativité. Une inspiration quotidienne qui ne manque pas d’imprégner son ouvrage.

© Olivier Degen© Olivier Degen

Un sens qu’il convient de retrouver

Et c’est avec quelques vers de Roberto Juarroz que commence Abstract : « Ne pas regarder, simplement : / creuser les choses ou les remplir / du regard. » D’emblée, Olivier Degen nous incite à aller au-delà du superficiel. Il s’agit finalement de réapprendre à considérer notre environnement tel qu’il est véritablement. « Dans la préface, Alain Vanier dit que “le regard est ce qui manque à ce que nous voyons”. Il nécessite, effectivement, une forme d’altruisme, de curiosité de ce qui nous est offert », explique l’artiste. L’usage du noir et blanc complimente alors la démarche. Les nuances monochromes mettent davantage l’accent sur les détails et inscrivent les clichés dans une temporalité abolie. Une façon de contrer l’éphémère en le rendant abstrait, de dématérialiser le sensible qui devient, dès lors, intelligible.

Mais au travers de ce projet, Olivier Degen cherche également à se défaire de ce qu’il nomme le « voir de la consommation. » Il faut dire que nos sociétés contemporaines n’ont eu de cesse de générer des images. Cette profusion tend, en effet, à en annihiler toute leur symbolique, perdant tout un chacun dans un flux de données incontrôlé. Par le biais d’Abstract, l’auteur souhaite ainsi produire une série dans laquelle il y a quelque chose à voir, des tableaux porteurs d’un sens qu’il convient de retrouver.

© Olivier Degen

Un synonyme de soustraction

Si les tirages d’Olivier Degen usent de géométries et de textures abstraites, ce n’est pas tout. Femmes de dos, rochers, façades d’immeubles ou bouches d’égout… Des fragments d’existences sans visage ou partiellement dissimulés, et autant de lieux que d’espaces qui abritent des récits occultés. Car ce sont ces « rencontres inopinées », ces « éléments qui vous échappent ou qui – vous le savez déjà – vont vous échapper » qui animent l’artiste. Le geste imprévu du mouvement fait alors écho à un acte manqué. Celui-ci ne peut survenir que bien loin du studio et de ses pratiques scénarisées. C’est de cette façon que le photographe parvient à immortaliser l’instant fragile, spontané, qui d’ordinaire doit passer inaperçu.

Car l’abstraction est aussi un synonyme de soustraction. En cela, montrer ce qui relève du détail, de la banalité parfois triviale prend tout son sens. « J’aime le mot “abstractpour les différentes significations qu’il recouvre, confie Olivier Degen. Je suis parti du nom en prenant sa définition première de “résumé d’un texte scientifique” qui ouvre sur un champ de connaissances, ici de perceptions qui tendent vers l’abstraction. Ensuite ce sont celles du terme en anglais, qui vont bien au-delà de l’introduction, et qui nourrissent une part de construction/déconstruction et de mystère. » Une destruction créatrice, énigmatique, qui n’est pas sans rappeler le paysage dépeint par Julio Cortazar à la fin du livre, qui « se casse en mille morceaux ». En fin de compte, Abstract se présente comme un certain éloge du fragment. Les photographies sont pareilles à des fissures qui laissent passer la lumière. Elles témoignent d’une « perspective inattendue qui conduit à regarder différemment » le monde qui nous entoure, de même que l’abstraction.

© Olivier Degen

© Olivier Degen© Olivier Degen

© Olivier Degen© Olivier Degen

© Olivier Degen

Explorez
Extrême Hôtel : voyage dans l’œuvre intime et colorée de Raymond Depardon
Italie, Sicile, Taormine, 1981 © Raymond Depardon / Magnum Photos
Extrême Hôtel : voyage dans l’œuvre intime et colorée de Raymond Depardon
Après huit mois de travaux pour rénovation, le Pavillon populaire de Montpellier rouvre ses portes. À cette occasion, le musée...
10 décembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Twist : les basculements du regard de Grade Solomon
© Grade Solomon
Twist : les basculements du regard de Grade Solomon
Grâce à l'impression risographie, Grade Solomon raconte les formes de vie et les états d’âme dans ce qu’ils ont de familier et de...
09 décembre 2025   •  
Écrit par Milena III
Kincső Bede : Déshéritée
© Kincső Bede
Kincső Bede : Déshéritée
Dans son livre Porcelain and Wool, Kincső Bede se réapproprie son identité transverse par des objets, des lieux et des tissus de la...
04 décembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Mouche Books édite son premier livre photo-poésie Selfportraits
© Lena Kunz
Mouche Books édite son premier livre photo-poésie Selfportraits
La revue Mouche, qui fait dialoguer le 8e art avec la poésie depuis quatre ans, lance sa maison d’édition Mouche Books avec comme premier...
27 novembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Bernard Plossu : Naples à hauteur d'âme
© Bernard Plossu
Bernard Plossu : Naples à hauteur d’âme
Présentée à la galerie Territoires Partagés jusqu'au 31 janvier 2026, Les Napolitains de Bernard Plossu marque un tournant dans le...
Il y a 8 heures   •  
Écrit par Costanza Spina
Guénaëlle de Carbonnières : creuser dans les archives
© Guénaëlle de Carbonnières
Guénaëlle de Carbonnières : creuser dans les archives
À la suite d’une résidence aux Arts décoratifs, Guénaëlle de Carbonnières a imaginé Dans le creux des images. Présentée jusqu’au...
11 décembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Cloud Dancer : 7 séries photo qui arborent la couleur Pantone 2026
© Damien Krisl
Cloud Dancer : 7 séries photo qui arborent la couleur Pantone 2026
Chaque mois de décembre, Pantone dévoile sa couleur pour l’année suivante. Pour 2026, il s’agira de « Cloud Dancer », à savoir une nuance...
10 décembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Extrême Hôtel : voyage dans l’œuvre intime et colorée de Raymond Depardon
Italie, Sicile, Taormine, 1981 © Raymond Depardon / Magnum Photos
Extrême Hôtel : voyage dans l’œuvre intime et colorée de Raymond Depardon
Après huit mois de travaux pour rénovation, le Pavillon populaire de Montpellier rouvre ses portes. À cette occasion, le musée...
10 décembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet