Publié par les Éditions À la maison, L’amour seul brisera nos cœurs, livre de Bérangère Fromont est dédié à une communauté sous-représentée au sein de la culture gay : les lesbiennes. Un regard queer et délicat à découvrir au cœur du festival d’édition photo indépendante Rolling Paper, au Bal du 23 au 25 septembre.
Noir et blancs contrastés, compositions millimétrées, lignes graphiques, minimalisme acéré… Dans les images de Bérangère Fromont, le raffinement est au service de l’intime, comme de l’engagement. Après avoir capturé des adolescents fantasmagoriques en pleine nuit, puis la dichotomie d’Athènes, une ville coincée entre un passé grandiose et un présent écrasant, la photographe et artiste visuelle installée à Paris s’intéresse cette fois aux amours lesbiennes. « Au 19e siècle, l’homosexualité est reconnue comme crime et maladie mentale en Europe. En 2018, alors que le mariage et les lois les protègent désormais, les actes violents homophobes ont augmenté en France de 34,3%. L’homosexualité déclenche toujours autant de haine et de rejets », déclare-t-elle. Imaginé comme un dialogue entre trois autrices – Bérangère Fromont, bien sûr, mais aussi Élodie Petit, poète queer dont les mots tissent des liens libres avec les images, et la graphiste Maycec dont l’approche monochrome et minimaliste s’accorde à merveille avec la vision de la photographe – L’amour seul brisera nos cœurs se lit comme un ensemble de ramifications sensible. Un recueil où l’affection se ressent dans la fibre des mots, comme dans la danse des clichés.
Une osmose brûlante
« On habite ce que l’on peut : la faïence, la baignoire, le hlm, le trottoir, on construit une cabane. Du début à la fin on utilise l’amour comme survie collective. Fiévreuse plébéienne.»
Comme un fil rouge articulant l’histoire entière, la citation d’Élodie Petit parvient à traduire cette osmose brûlante, cette envie de s’unir que Bérangère Fromont capture. Étreintes cachées, mains blanches caressant dans la nuit noire, doigts qui découvrent, qui s’enlacent, tandis que les visages disparaissent dans l’obscurité… Au cœur de l’ouvrage, les liaisons lesbiennes auxquelles s’intéresse l’artiste se font lancinantes. Comme une mélodie en sourdine qui ne cesse de se répéter pour mieux s’imprégner dans les esprits.
À l’origine du projet se trouve une envie de représenter une partie de la communauté LGBTQIA+ souvent mise à l’écart. « L’homosexualité féminine est invisibilisée dans l’art comme dans la société, contrairement à la culture gay. Fantasmée, déformée, colonisée, la représentation des lesbiennes dans ma jeunesse n’existait pas, en dehors de quelques films pornographiques hétérosexuels, où l’on pouvait voir des filles aux ongles et cheveux longs présentes uniquement pour le regard masculin. Il est temps de créer nos propres archives en produisant nos propres récits », déclare la photographe. De la même manière que Romy Alizée s’attache à révéler un regard queer, L’amour seul brisera nos cœurs parvient à souligner l’émotion de ces liaisons d’un même genre. À travers l’effervescence des cadrages, des scènes figées, les corps dialoguent, aux yeux de tous et toutes, et traduisent l’attachement. Une douce affection, une tendresse touchante. À la fois objet de témoignage et d’engagement, l’ouvrage de Bérangère Fromont s’impose comme une œuvre complète, complexe, mais avant tout, universelle. « Ça parle d’amour, de précarité, de joie punk et émo, de sexualité. Ça emmêle directement le corps au politique, ça prône haut et fort l’expérimentation et la satire, ça précise une volonté très forte de faire la révolution. », écrit Élodie Petit. Et la photographe, de conclure : « Mon approche de ce sujet est à la fois intime, amoureuse, poétique, politique, sensible, quotidienne ».
© Bérangère Fromont