Révélée en 2018 avec sa série Mayu, Sayuri Ichida revient avec un projet plus intime, tout de monochrome vêtu. Dans son ouvrage Absentee, l’artiste traite ses traumas dans un isolement forcé et global, pour enfin retrouver la profondeur de ses sentiments.
S’absenter du collectif, fuir les sollicitations, se retrouver face à sa propre solitude, prendre une pause obligatoire… Comme le monde entier, Sayuri Ichida a été contrainte, en 2019, de s’arrêter. Confrontée une fois de plus à l’imprévisibilité de la vie, elle a quitté New York pour s’installer à Londres afin d’entamer un master d’arts photographiques. La même année, son projet Absentee a vu le jour. « Il s’agit de ma première série en noir et blanc. J’ai commencé à travailler dessus pendant le premier confinement, lorsque tous les laboratoires photo étaient fermés, et que je ne pouvais pas développer mes négatifs avec différentes teintes. De plus, je n’avais tout simplement pas envie de photographier en couleur, car je trouvais cela trop gai dans la mesure où nous étions confrontés à une réalité morne », avoue-t-elle. Résultat d’un questionnement double, à la fois identitaire et expérimental, cette série – éditée en un bel ouvrage par the(M) éditions et IBASHO – déroule l’histoire abstraite d’une réappropriation de souvenirs et de sensations enfouis. Un récit de retrouvailles originelles.
© Sayuri Ichida
Catalyser le chagrin
Dans cet espace restreint de l’isolement obligatoire, des blessures abyssales ont ressurgi chez l’artiste, et notamment celle de la perte de sa mère. À nouveau, le 8e art a tenu lieu de rempart thérapeutique au chagrin, et lui a permis de documenter ses états émotionnels. Ainsi, elle a désiré faire dialoguer des autoportraits nus à des paysages urbains, mais également à des objets abandonnés et des grigris délaissés. En résultent des diptyques monochromes où défilent des corps aux courbes fluides, se dédoublant parfois ou s’opposant à l’architecture austère d’un bâtiment bétonné. « Toutes les images du corps sont celles du mien. La pandémie mondiale nous a forcés à reconnaître la fragilité des êtres humains. Je voulais dépeindre cette vulnérabilité en exposant ma peau. En travaillant sur cette série, je me suis rendu compte que j’étais intriguée par des objets que je négligeais normalement, comme une porte de chantier, un trottoir… En juxtaposant les ondulations organiques du corps et les lignes dures des objets artificiels, j’ai représenté mes émotions en constante évolution, du calme à la peur et inversement. »
Suspendus hors de l’anxiété et de l’asphyxie mondiale, ses clichés présentent les pluralités d’un « moi » faisant face à la solitude. Défait d’identités ou de visages distincts, les images invitent les spectateurices à se projeter dans les potentialités immenses du nu, et d’enfin se confondre avec leurs sentiments. Ayant accepté de s’être écartée de l’action pour se réfugier dans le ressenti, Sayuri Ichida s’est retrouvée. Un livre d’une absence curative qu’elle dédie par amour à ses parents.
Absentee, coédition the(M) éditions et IBASHO limitée à 500 exemplaires numérotés, 122 pages, 80 €
© Sayuri Ichida