Amoureux de la photographie documentaire, l’artiste californien Dotan Saguy dresse un portrait fascinant de Venice Beach, un quartier de Los Angeles voué à disparaître.
« Je suis conscient que cela sonne un peu comme un cliché, mais c’est Venice Beach qui m’a choisi et non le contraire », explique Dotan Saguy. « J’ai photographié plusieurs rues et quartiers de Los Angeles : Hollywood Boulevard, Boyle Heights, Beverly Hills, Downtown Los Angeles, etc ». C’est Venice Beach qu’il préfère.« C’est là que je prenais le plus de plaisir à me balader, je m’y suis identifié », ajoute-t-il. Et puis, il réalise à quel point le quartier était en train de changer et que la diversité culturelle tendait à disparaître. Cette diversité qui inspirait justement ses images. Le projet Venice Beach s’est transformé en véritable obsession. « Je me sentais coupable quand je ne m’y rendais pas. J’avais peur de manquer des moments importants », confie-t-il.
Entre tourisme et gentrification
« Imaginez un bout de plage de trois kilomètres de long sur lequel se côtoient des dizaines de communautés, en harmonie : culturistes, skateboarders, peintres, surfeurs, sans abris, hippies, danseurs chaussés de roller, acrobates, artistes de graffiti, musiciens, percussionnistes, joueurs de basket et drogués ». Bienvenue dans la deuxième attraction touristique de la Californie après Disneyland, « un lieu concentré en intensité ». Chacune de ses rencontres a constitué un puissant souvenir. C’est celui associé à la photo de couverture de son ouvrage qu’il partage. On y découvre une jeune femme en maillot de bain surveillant un énorme serpent enroulé autour d’une barre d’exercice en métal. « Avant de photographier Jenna, elle m’a raconté son histoire. Elle gardait deux boas avec son fils de cinq ans pour rendre service à un charmeur de serpent. Cette scène m’a captivé durant plus d’une heure », se souvient-il. Au vu des situations cocasses rassemblées dans l’ouvrage, on suppose que Dotan connaît mille et une autres histoires.
Le photographe a préféré travailler en noir et blanc pour souligner l’intemporalité du sujet et figer dans le temps cette culture bohémienne en voie de disparition. Et pourtant, il est facile pour le lecteur de se figurer l’énergie colorée de ce microcosme. Un joyeux portrait qui tombe à pic, car le quartier subit une vague de gentrification. « Ce phénomène s’est accéléré ces dernières années et Venice Beach risque fort de devenir une station balnéaire réservée aux riches, au même titre que les plages voisines de Santa Monica, Pacific Palisades ou encore Manhattan Beach. Quand les riches propriétaires en bord de mer toléreront-ils enfin les camping-cars garés devant chez eux ? » Avec ce superbe projet, Dotan oriente le débat politique local.
© Dotan Saguy
Venice Beach, Kehrer Verlag, 39,90 €, 128 p.