À la MEP, jusqu’au 21 août, les plus grands photographes des 20e et 21e siècles nous chantent l’amour à l’occasion de l’exposition Love Songs. Une immersion, en sons et en images, dans les paysages émotionnels de ceux qui font œuvre de leur intimité.
« Quand nous sommes amoureux, il nous faut parfois admettre qu’au fond, nous ne savons ni ce qu’est l’amour, ni à quoi il est censé ressembler ; que nous ne savons ni à quoi il correspond ni comment il influe sur le regard que nous avons sur les choses », lance, en guise d’introduction, Simon Baker, directeur de la Maison européenne de la photographie (MEP). En cette saison que l’on nomme « printemps », l’institution parisienne a choisi de célébrer l’amour. Nul besoin de croire en son caractère éternel ou d’être un adepte du voyeurisme pour apprécier l’exposition Love Songs, il suffit de se laisser porter par les quatorze séries, toutes aussi sublimes les unes que les autres. Conçue en référence aux compilations que s’offraient autrefois les amoureux, Love Songs questionne notre rapport à l’intimité et soulève une problématique existentielle : l’objectivité du médium photo. « La photographie entretient une relation compliquée avec son apparente capacité à documenter, à enregistrer ou à saisir le monde réel. À différents moments de son histoire, les photographes et leur public ont fait confiance, à des degrés divers, à la nature “objective” de l’image photographique, à son exactitude ou sa fiabilité », précise le commissaire.
Comment s’assurer de la véracité d’une image si le sujet est un phénomène que l’on peine à définir, subjectif par essence ? Est-ce qu’on peut identifier et définir l’amour avec une image ? Voilà un sujet aussi vaste que complexe. Et c’est certainement pour cela qu’il fascine spectateurs, artistes, et curateurs depuis la nuit des temps. « Lorsqu’on partage des morceaux de musique, on assume une appropriation des paroles. C’est ainsi qu’on essaye d’exprimer nos sentiments, nos émotions. » Et s’il en était de même avec l’image ? La réflexion s’est amorcée il y a quelques années, aux côtés de deux artistes, aujourd’hui exposés à la MEP. « Ce n’est pas possible que je sois voyeuse de ma propre vie », lui rapporte un jour Nan Goldin à l’occasion d’une exposition sur le voyeurisme, Exposed, à la Tate Modern. À cela s’ajoute un commentaire de Nobuyoshi Araki, au sujet de son Sentimental Journey et sa femme Yoko. « Quand je regarde ces photographies, je me dis que l’amour en est absent, que d’une certaine façon, je n’ai pas réussi à le capturer », confie le photographe japonais.
© Nobuyoshi Araki / courtoisie Taka Ishii Gallery
Témoins privilégiés
Dans l’esprit d’une cassette audio, les regards s’enchaînent, compilés en une face A – 1950-2000 – et une face B – 2000 à aujourd’hui. « Tous ont en commun d’être généreux. Les artistes présentés ici ont pris le risque de nous accueillir dans leur intimité », précise le commissaire. Une intimité différente selon le sujet photographié ou encore l’époque. « Je ne vois aucune différence dans la façon de photographier selon le genre de l’artiste. Il m’est par exemple impossible de déceler quelque chose relevant du féminin dans une image d’Hideka Tonomura. En revanche, les écritures se distinguent selon les générations », ajoute-t-il. Pourtant, face aux tirages de René Groebli, Nan Goldin, Lary Clark ou encore Lin Zhipeng, intimité rime avec radicalité. Le premier photographie sa bien-aimée Rita, dans une douce proximité. Dans L’Œil de l’amour, le photographe français documente le romantisme d’une chambre d’hôtel, et des fragments de vie de son amoureuse. Lin Zhipeng contourne les pièges de la censure chinoise et capture sa vie amoureuse et ses expériences sexuelles. Sally Mann et Hervé Guibert proposent quant à eux une vision plus contemplative de l’intimité. Avec Proud Flesh, la photographe révèle son mari malade et vulnérable, et le lien puissant qui les unit. Hervé Guibert sublime son amant Thierry – le repère, l’ami, le personnage principal – dans une série dédiée. Les duos JH Engström et Margot Wallard et RongRong&Inri ont quant à eux choisi de photographier leur histoire d’amour, à deux, en offrant des moments tantôt charnels, tantôt spirituels. Sans complexe, ils nous confortent dans notre position de témoins privilégiés. Maladie, dépendance, passion brulante, libéralisation des mœurs… Love songs, c’est aussi une invitation à nous immerger dans nos propres romances. Un voyage intérieur qu’il est possible de mener en musique – de New Order à Nick Cave, en passant par Gainsbourg – puisque Simon Baker, DJ dans une autre vie, a constitué une playlist pour l’occasion.
Love Songs, photographies de l’intime, co-édité par l’Atelier EXB et la MEP, 45 €, 224 p.
Love Songs, photographies de l’intime
Maison Européenne de la Photographie
5/7 Rue de Fourcy, 75004 Paris
Jusqu’au 21 août
© Lin Zhipeng / Courtoisie in Between gallery
© Larry Clark / Courtoisie de l’artiste et Luhring Augustine
© RongRong&inri
© René Groebli / courtoisie de l’artiste et de la galerie Esther Woerdehoff
© Alix Cléo Roubaud / Fonds Alix Cléo Roubaud
© Nan Goldin / courtoisie Marian Goodman
© Hideka Tonomura / courtoisie Zen Foto Gallery
© JH Engtröm & Margot Wallard / Courtoisie galerie Jean-Kenta Gauthier
Image d’ouverture © Nan Goldin / courtoisie Marian Goodman