Originaire d’Oman, le directeur artistique et artiste visuel Abdulaziz Al-Hosni revisite des mythes et représentations des cultures orientales et occidentales. Envolées théâtrales, ses autoportraits contestent les acceptations archaïques de la masculinité et invitent à pleinement s’assumer.
« J’ai grandi dans un environnement familial artistique foisonnant. Aujourd’hui, en tant qu’adulte, je souhaite que les autres voient la beauté de ce que je perçois et chéris dans ma culture. C’est ce pour quoi je crée »
, confie Abdulaziz Al-Hosni. À seulement 22 ans, l’artiste visuel et directeur artistique semble avoir trouvé dans l’art le moyen d’accéder à son épanouissement personnel. Le jeune omanais s’est plongé de manière instinctive et autodidacte dans le 8e art, et continue aujourd’hui à s’inspirer de ce qu’il côtoie − des objets aux personnes qui croisent son chemin. Et dans ce pêle-mêle d’influences paraissent subsister celles d’une iconographie picturale autant révolue que réinventée. À travers des autoportraits à l’esthétique pop, grotesque et précise, Abdulaziz Al-Hosni s’investit d’une mission : raconter sa propre histoire, mais également celle d’une génération de jeunes hommes arabes − au sens large − désireux de se réapproprier leur masculinité, et ainsi se défaire de celle que la société leur a vainement imposée.
« Si j’ai réalisé des autoportraits, c’est parce que les hommes que je souhaitais photographier n’étaient pas à l’aise à l’idée de se représenter avec des cœurs ou d’autres objets relatifs aux émotions. Ils craignaient également que les images puissent circuler sur Internet. » En ces quelques mots, Abdulaziz Al-Hosni présente la genèse de son projet Habayib Club. Dans cette série au ton décomplexé, l’artiste fait en réalité le constat d’une société orientale qui l’est beaucoup moins. Un monde devenu intolérant, notamment face aux questions de genre.
L’esthétique au service d’une nouvelle masculinité
Avec Habayib Club, Abdulaziz Al-Hosni fait l’éloge d’un club fictif, conçu pour les hommes ou personnes ayant peur d’exprimer leurs sentiments et émotions. Tel un roman graphique dont Abdulaziz Al-Hosni serait le héros, les images − longuement retouchées − le mettent en scène et l’assignent à des rôles indéfinis. Ici, aucune honte ni tabou pour incarner toutes les facettes ou étiquettes qu’un homme peut revêtir : guerrier, amoureux, nostalgique, sportif, pieux, sentimental, musicien ou étudiant… « Je trouve qu’il est plus simple de s’exprimer visuellement avec la photographie et les dessins qu’avec des mots. J’aime que mon travail ait une esthétique singulière. L’ajout des couleurs, des accessoires me permet de donner une dimension dramatique à mon œuvre », confie-t-il. Si certains y perçoivent de l’autodérision, Abdulaziz Al-Hosni nous assure qu’il n’y a pas une once d’ironie et que tout est parfaitement réfléchi. « Je prends mon travail très au sérieux et n’essaie jamais de faire de l’humour. Je planifie chaque chose minutieusement et veille à ce que tout soit à sa place. Puisque dans tous ces détails il y a des références à mes expériences personnelles, explique l’artiste. Cependant, cela ne me dérange pas si les gens pensent autrement, car nous venons de milieux distincts et apprécions les choses différemment. C’est la magie du multiculturalisme. »
Pareilles à de petits slogans qui vanteraient les bienfaits d’un groupe de développement personnel, ses créations invitent à embrasser ses parts d’ombres et de fragilités. Au cœur même de ce conte fantastique, une image réapparaît systématiquement. Celle d’un flacon, philtre magique qui serait capable de donner le courage à son consommateur d’assumer ses émotions. Dans l’un de ses clichés, où il s’est représenté un bras tendu vers un autre homme, tous deux assis face à une pyramide − clin d’œil évident à la fresque Création de Michel-Ange − Abdulaziz Al-Hosni tente de lui transmettre ce breuvage enchanté, tel un passeur d’amour. Actrice phare de la série, cette potion est loin d’être un poison, mais est bel et bien la clef pour faire tomber les barrières d’une société misogyne et patriarcale. Débarrassé des idées préconçues, des jugements d’autrui, l’homme, aidé par le filtre d’amour, devient tout et son contraire. Démonter les règles de la masculinité toxique, voici finalement le dessein Habayib Club, et par extension celui d’Abdulaziz Al-Hosni.
© Abdulaziz Al-Hosni