Adam Rouhana et Moayed Abu Ammouna, refusant les récits dominants, photographient une Palestine pleine de vie. Leurs images agissent comme de réels actes de résistance.
Dans un contexte de violence extrême, deux photographes palestiniens refusent les récits dominants qui enferment la Palestine dans la souffrance ou l’oubli. À la place : la lumière et l’intime. Adam Rouhana et Moayed Abu Ammouna proposent une autre manière de voir, qui protège celles et ceux qu’elle représente autant qu’elle interpelle celles et ceux qui regardent. Chacun à sa manière transforme ses images en contre-archives, en gestes de mémoire, en actes de résistance.
S’il est un lieu où la résistance est quotidienne, c’est en Palestine. Et c’est avec une profonde gratitude que nous remercions Moayed Abu Ammouna et Adam Rouhana d’avoir accepté de partager leur parole, alors même que le contexte rend ce geste difficile, voire périlleux. À Gaza, l’artiste visuel et cinéaste Moayed Abu Ammouna mène une vie pleine de contradictions : « On se réveille sans savoir si l’on va survivre à la journée, pourtant, on fait ce qu’on peut pour tenir, pour affirmer notre présence. Les ressources essentielles sont quasi inexistantes, et le bourdonnement des drones dans nos esprits est incessant. Et même si tout pousse à la disparition, on continue de rechercher la lumière. » Et on le sait trop bien, les meilleur·es photographes sont celles et ceux qui savent la capturer.
Adam Rouhana, lui, photographie la vie palestinienne. Né d’un père palestinien et d’une mère américaine, il a été élevé en Nouvelle-Angleterre, bercé par « l’enseignement du canon occidental », mais retourne chaque année en Palestine. À 12 ans, il commence à photographier ce qui l’entoure. « Au fil de ma pratique, et bien avant que ma conscience politique ne se forme, je percevais déjà
un décalage fort entre la manière dont l’Occident se représentait la Palestine et mes images, se souvient le photographe désormais installé entre Jérusalem et Londres. Dans les médias, les Palestiniens apparaissent presque toujours soit comme des Arabes masqués et violents, soit comme des corps impuissants, jetables. On est tellement habitués à voir la mort palestinienne. Moi, je veux montrer la vie palestinienne », explique-t-il. Derrière son objectif, des moments simples témoignent d’« une générosité quotidienne, un esprit collectif et une appartenance historique à la terre ». Avec, toujours, une question en ligne de mire : « Comment la création d’images peut-elle servir d’activité décoloniale ? »
Le silence après le bombardement
En plein cœur du génocide, Moayed Abu Ammouna préfère lui aussi le champ de l’intime pour remettre en cause les récits dominants. Il délaisse les drones, les destructions, le sang et la mort pour photographier comment les palestinien·nes continuent de respirer, d’attendre, d’exister. « Je me concentre sur ce qui vient après l’explosion : la trace, le silence après le bombardement. J’essaie de proposer un autre regard, un regard qui écoute, se souvient, et reconstruit du sens », confie-t-il. La violence n’est pas toujours bruyante, et il y a des silences qu’il est bon de préserver. L’artiste s’abstient délibérément de montrer les corps brisés et les instants d’extrême fragilité. « L’appareil photo peut être un outil blessant. Gaza est trop souvent victimisée, exhibée comme un lieu de souffrance répétée. Je ne veux pas reproduire ce récit », ajoute-t-il. Dans une ville où la temporalité est tendue et l’avenir toujours plus incertain, l’auteur rejette la « capture » au sens colonial du terme. Il refuse d’enfermer la réalité complexe dans une image unique, claire et définie. Son recours au flou devient alors un véritable geste politique à part entière qui « résiste à l’archivage colonial, refuse la fixité et respecte ce qui ne doit pas être exposé ». La photographie, tout comme la manière dont on la pratique ou le sujet que l’on choisit, n’est jamais neutre. En captant ce qu’ils affrontent et ce qu’ils éprouvent, les deux artistes affirment qu’ils tiennent encore debout, qu’ils se souviennent et qu’ils refusent l’effacement. « Bien sûr que la photographie offre un espace pour rêver et imaginer une vie loin des conflits, mais c’est aussi une forme d’autodéfense culturelle. Ici, l’art ne peut pas être dissocié de l’existence », affirme Moayed Abu Ammouna. Pour lui, le 8e art est une manière de vivre ; pour Adam Rouhana, la photographie fait tout simplement partie de lui.
Cet article est à retrouver dans son intégralité dans Fisheye #72.
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