Alors que la neuvième édition du PhotoVogue Festival vient de s’achever, Alessia Glaviano, directrice de l’événement, revient sur son parcours. Au fil de ses projets, la photographie de mode s’est imposée comme le support de ses engagements, faisant d’elle une figure d’avant-garde.
« Je crois que tout se résume à une question de représentation. Ce que nous faisons peut influencer la façon dont les gens perçoivent les événements et changer leur comportement. Un magazine de mode est le miroir de la société d’une époque », assure Alessia Glaviano avec conviction. Responsable internationale de la plateforme PhotoVogue et directrice du festival du même nom, elle officie depuis vingt-quatre ans au sein du groupe Condé Nast. Au fil de sa carrière, la presse comme la photographie éditoriale ont évolué pour s’adapter au monde numérique. Cette ouverture vers de nouveaux horizons a favorisé l’émergence de certains sujets jusque-là en marge. « En fin de compte, la mode n’est qu’un élément de la photographie », remarque-t-elle. Pour Alessia Glaviano, ce milieu a toujours été un moyen de raconter des histoires, un langage permettant de mettre en lumière certaines causes et d’affirmer des identités de manière créative.« J’ai travaillé dur pour arriver où j’en suis, et je continue. Je me remets constamment en question. Je me demande pourquoi je fais ce que je fais, comment je peux rendre service à la société, car j’ai le sentiment que c’est là ma mission principale : essayer d’améliorer la vie des autres », poursuit-elle en souriant. Le col roulé rose poudré qu’elle revêt le jour de notre entretien, qui s’accompagne de larges perles baroques aux oreilles, souligne la douceur qui émane de sa personne.
Derrière elle, des tirages et des esquisses décorent une étagère. Ils suggèrent son attrait pour l’art, dans lequel elle évolue depuis l’enfance, son père, Marco Glaviano, étant photographe et architecte. Toutefois, les premiers clichés qui l’ont marquée appartiennent au registre du photojournalisme. Ceux-ci étaient présentés dans le cadre d’une exposition consacrée à la Nuit de cristal, qui désigne le pogrom perpétré contre les Juifs dans la nuit du 9 au 10 novembre 1938, en Allemagne. Un drame qui va préfigurer la Shoah. À la vue de ces images, l’horreur la saisit. « Cela m’a fait comprendre à quel point la photographie pouvait être un moyen d’expression puissant. Elle se révèle encore plus forte qu’une peinture, car elle semble “transparente”. Nous avons tendance à croire que nous sommes en contact avec ce qui est montré, explique-t-elle. Cette idée de voir des endroits inconnus, de percevoir les choses à travers les yeux de quelqu’un d’autre, d’entrer dans l’esprit de l’artiste est fascinante. Il y a mille possibilités, cela ne me lassera jamais. » Encore animée par cette révélation, à la suite d’études en économie et en mathématiques, la jeune diplômée se lance dans le 8e art. Elle quitte alors l’Italie pour s’installer à New York et tout apprendre du métier. Nous sommes dans les années 1990, la mode lui ouvre les bras et elle prend conscience que la fonction d’éditrice lui convient à merveille. « C’était un environnement complètement différent, qui n’a rien à voir avec ce qu’il est aujourd’hui », précise-t-elle. Si les injustices du milieu l’interpellent, elle apprécie son énergie créative, de même que la vision inspirante des personnes qu’elle rencontre. Stimulée par ces expériences, elle regagne sa terre natale en 2001 et fait ses premiers pas chez Vogue Italia.
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Une représentation diversifiée
« J’ai eu la chance de travailler avec Franca Sozzani, c’était une rédactrice en chef de génie ! Nous étions très proches et, à l’époque, il n’y avait pas une telle répartition des rôles. Nous n’étions pas beaucoup au magazine, nous nous occupions de tellement de tâches différentes. Mais ce qui m’intéressait avant tout, c’était l’image, le visuel. C’est donc dans ce domaine que j’ai fait carrière », nous raconte-t-elle. Le nouveau millénaire correspond également à la démocratisation d’Internet et à la multiplication des médias en ligne : Vogue Italia se lance naturellement dans cette aventure. Tout est encore à façonner et Franca Sozzani, consciente de ce défi, demande à Alessia Glaviano ce qu’elle souhaite développer sur le site. PhotoVogue est né. Contrairement aux autres plateformes qui permettaient aux internautes de partager des clichés, celle-ci se distingue par sa ligne éditoriale et la communauté qu’elle fédère. « Nous avions besoin d’une médiation pour donner un sens à toutes ces images. Vous savez, tout n’est pas génial. Il faut faire le tri. J’y ai consacré beaucoup d’efforts, je ne m’attendais pas à ce que PhotoVogue prenne une pareille ampleur. Actuellement, nous comptons plus de 390 000 artistes des quatre coins du monde, et ce nombre ne cesse de croître », indique-t-elle avec entrain. Grâce à une telle audience, la plateforme est en mesure d’offrir une large visibilité aux sujets qu’elle aborde. « C’était pour moi une façon de lutter contre les injustices que j’évoquais précédemment. Lorsque j’ai commencé à travailler dans ce secteur, il n’y avait pas de diversité. Les photographies publiées dans le magazine étaient principalement signées par des hommes blancs et occidentaux. Aujourd’hui, enfin, même si tout n’est pas parfait, il y a une représentation beaucoup plus large de différentes cultures et j’espère que PhotoVogue a joué un grand rôle dans cette évolution – j’en suis même sûre », déclare-t-elle.
La suite de cet article est à retrouver dans Fisheye #70. Rendez-vous par ici pour découvrir plus de sujets de notre dossier spécial mode.