Alinka Echeverría, au-delà du fantasme

06 juillet 2016   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Alinka Echeverría, au-delà du fantasme
À partir des archives du musée Nicéphore-Niépce, Alinka Echeverría a conçu un travail complexe autour de la photo et de la céramique. Une réflexion qui analyse les codes de représentation des femmes à travers les siècles. Baptisé Nicephora, ce projet original exposé aux Rencontres d’Arles est le fruit d’une réflexion dense et passionnée. La jeune femme nous raconte comment elle l’a pensé et développé.

« Mes deux disciplines, l’anthropologie et la photographie sont intimement liées à l’époque coloniale », raconte Alinka Echeverría. Durant trois mois, de septembre à novembre 2015, elle s’est immergée dans les fonds du musée Nicéphore-Niépce de Chalon-sur-Saône. Cinquième lauréate de la Résidence BMW, la photographe avait carte blanche pour imaginer un projet et produire un livre. Une expérience inédite car Alinka n’est « pas vraiment le genre d’artiste qui peut rester dans son atelier, dans une pièce blanche et créer ». Partant de rien, elle a développé en douze semaines le travail le plus original de sa carrière. Le plus complexe aussi. Au musée, elle se nourrit d’images d’archive. Notamment les cartes postales Combier (du nom de Jean Combier, photographe et imprimeur à Mâcon qui publiera plus de deux millions de cartes postales différentes) qui représentent une image fantasmée des femmes des colonies – les modèles sont de très jeunes prostituées. « C’est la première fois que je travaillais avec des archives. Au départ, j’ai voulu redonner une autre identité à ces jeunes filles. » 

Analyser et comprendre

« Comment vais-je me positionner ? », s’interroge l’artiste lorsqu’elle arrive à Chalon-sur-Saône. Il lui faut revenir aux origines de la photo, et elle est d’emblée attirée par les archives du musée, et celui qui lui a donné son nom, Nicéphore Niépce. En 1827, il réalise depuis sa propriété du Gras la première héliographie, acte fondateur qui donne naissance à la photographie. « Niépce souhaitait fixer les images et les reproduire à l’infini », explique Alinka. De fait, l’accumulation est la conséquence inhérente à la pratique photographique. Nous constituons chaque jour, depuis deux siècles, un amoncellement d’images d’archives. Nous forgeons ainsi nos propres représentations. C’est le premier déclic qui s’opère dans l’esprit de l’artiste. Ces reproductions de cartes postales, Alinka s’en empare. Elle veut les analyser, comprendre les codes qui façonnent les fantasmes qu’elles véhiculent. Mais sur quel support ?

Précession du Féminin, Simulation V - Mise en lumière de la matière. Héliogravure au grain sur vase japonais © Alinka Echeverría
Précession du Féminin, Simulation V – Mise en lumière de la matière. Héliogravure au grain sur vase japonais © Alinka Echeverría

Métaphore du féminin

Dans les premières pages du livre, l’objet apparaît comme une évidence : le vase. Sur les photos d’archives des colonies, elles sont nombreuses, les femmes qui posent avec cette céramique. Encore un déclic. « Je voulais produire des œuvres explorant les codes visuels qui ont façonné l’image de la femme », raconte Alinka. Les formes généreuses du vase évoquent le plein, l’abondance, la fertilité. Il est aussi un vecteur d’allégories mythologiques. C’est pour la jeune femme une « métaphore du féminin ». C’est ainsi que dans l’esprit de l’artiste s’opère un lien entre la céramique et la photographie. Dans le film retraçant les trois mois de sa résidence, la jeune femme se demande : « Pourquoi est-ce qu’une photo devrait nécessairement être tirée sur un papier rectangulaire et encadrée ? »

Alinka a « donc pris des vases [qu’elle a] photographiés en studio. Dessus, [elle a] superposé une image de femme tirée des archives du musée, réalisée sous différentes méthodes d’impression ». Treize vases sont ainsi conçus. L’un d’eux demeurera immaculé, orné seulement des mains aux ongles écarlates de l’artiste ; blanc « comme le lait que toute femme possède ». Il fait la couverture du livre. Questionner, détourner, imaginer d’autres possibilités : ces mécanismes de réflexion, Alinka les a hérités de sa formation d’anthropologue. Son parcours l’a convaincue de l’absolue nécessité de revoir constamment son approche et son point de vue.

Alinka, 35 ans, est née au Mexique. Pendant quatre ans, elle a étudié l’anthropologie sociale entre Bologne et Édimbourg. Elle a ensuite vécu en Ouganda, au Malawi et à Oman. C’est, en quelque sorte, l’anthropologie qui l’a menée à la photographie : « Je voulais documenter ce sur quoi je travaillais là-bas, et il m’a semblé que l’appareil photo était le bon outil », explique-t-elle. Et depuis, elle s’est consacrée à ça. Le fait que sa formation scientifique l’ait conduite à la photographie est déterminant pour comprendre sa démarche : « La méthodologie de l’anthropologie sert mon approche photographique. » Un regard atypique et analytique, hérité de la science, qui a su convaincre le jury de la Résidence BMW…

… L’intégralité de cet article est à retrouver dans Fisheye #19, en kiosque actuellement.

Explorez
Jeu de Paume : le regard singulier de Tina Barney sur les rituels familiaux 
Julianne Moore and Family, 1999 © Tina Barney. Courtesy de l’artiste et Kasmin, New York.
Jeu de Paume : le regard singulier de Tina Barney sur les rituels familiaux 
Jusqu’au 19 janvier 2025, le Jeu de Paume met Tina Barney à l’honneur en lui consacrant sa première rétrospective européenne. Depuis...
12 octobre 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Kalo Chianetta : la mort à l'œil
© Kalo Chianetta
Kalo Chianetta : la mort à l’œil
Virtuose d’à peine 19 ans, l’artiste sicilien Kalo Chianetta, depuis sa page Instagram où il poste Dal mio...
11 octobre 2024   •  
Écrit par Hugo Mangin
Lulù Withheld : la vérité derrière l’amour et la violence 
© Lulù Withheld
Lulù Withheld : la vérité derrière l’amour et la violence 
En mai dernier paraissait My Truth, un single de Madisine accompagné d’un clip vidéo, dans lequel il est question de violence domestique...
09 octobre 2024   •  
Écrit par Milena III
La sélection Instagram #475 : luxure juteuse
© Hui Choi / Instagram
La sélection Instagram #475 : luxure juteuse
Les artistes de notre sélection Instagram de la semaine se laissent aller à leurs désirs les plus interdits. La sensualité et l’érotisme...
08 octobre 2024   •  
Écrit par Marie Baranger
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Ukrzaliznytsia : les mises en scène ferroviaires de Julie Poly
© Julie Poly
Ukrzaliznytsia : les mises en scène ferroviaires de Julie Poly
Avant 2022 et l’invasion russe en Ukraine, Julie Poly a réalisé un projet inédit sur l'atmosphère si particulière des trains de son pays....
15 octobre 2024   •  
Écrit par Agathe Kalfas
La sélection Instagram #476 : point de bascule
© Hodaka Yamamoto / Instagram
La sélection Instagram #476 : point de bascule
Dans notre sélection Instagram de la semaine, tout est une question de point de vue. Les photographes jouent avec les angles et les...
15 octobre 2024   •  
Écrit par Marie Baranger
Dans l'œil de Francesca Hummler : sang divin et bisexualité
© Francesca Hummler. And Jesus Wept, de la série Rituals
Dans l’œil de Francesca Hummler : sang divin et bisexualité
Aujourd’hui, plongée — littérale — dans l’œil de Francesca Hummler. Alors que sa bisexualité dérange son entourage et son Église, la...
14 octobre 2024   •  
Écrit par Marie Baranger
Gülistan : quand les restaurants d’Istanbul composaient d’étonnants albums photos
© Fraglich Publishing
Gülistan : quand les restaurants d’Istanbul composaient d’étonnants albums photos
Publié chez Fraglich Publishing, Gülistan nous plonge dans les archives d’un couple dont nous ne savons rien si ce n’est qu’il avait pour...
14 octobre 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet