La photographe américano-libyenne Annissa Durar a documenté, avec beaucoup de douceur, la récolte des roses à Kelâat M’Gouna, au sud du Maroc. Destinées à devenir de l’eau de rose, les fleurs rassemblent toute une communauté autour d’une tradition qui se transmet de génération en génération.
On est au mois de mai. Le soleil se lève à Kelâat M’Gouna, au Maroc. Dans la fraîcheur de l’aube, les travailleur·ses s’activent. Il est temps de récolter les roses, dont le parfum diffus embaume la vallée. « C’est au premier rayon du soleil, lorsque les fleurs s’ouvrent, que leur odeur est la plus forte », précise Annissa Durar, photographe américano-libyenne. Ramassés, triés et distillés, ces pétales de roses damascènes deviennent de l’eau de rose, produit réputé de la région. L’artiste est arrivée à temps, dans les montagnes de l’Atlas, pour documenter ce temps éphémère de la récolte. Accueillie par Hafssa Chakibi, qui tient la distillerie coopérative Flora Sina, elle se met au rythme des cueilleur·ses. À travers les champs aux arômes enivrants, Annissa Durar saisit, à la lumière délicate du matin, des femmes, les hommes et leurs sacs remplis de fleurs. « Ce sont principalement les femmes qui font la collecte, et elles travaillent très vite, car elles sont payées au poids. Elles s’investissent énormément », explique-t-elle. Les pétales, par milliers, tapissent les images d’Annissa Durar dont la fragrance semble venir picoter les narines de celles et ceux qui les observent : « J’ai ressenti une grande connexion avec ces moments de calme, lors de la cueillette et du tri. » Ils se traduisent dans sa série The Rose Harvest, entièrement réalisée sur films 35 millimètres.
Faire communauté
Au moment de la récolte, qui se tient tous les ans en mai, la communauté se rassemble autour des roses, dans les champs, mais aussi lors d’un festival qui célèbre cette tradition. Si Annissa Durar s’est concentrée sur le processus de la collecte, elle ne s’est jamais détachée de la mémoire, des méthodes de transmission et de l’héritage de cette pratique. « Pour beaucoup, à Kelâat M’Gouna, cette saison est plus qu’un rituel : c’est un rythme commun qui unit les familles, soutient l’économie locale et ancre l’identité dans un lieu façonné par les odeurs et le sol », raconte Annissa Durar. Alors pour illustrer cette succession de savoir, l’artiste a photographié, entre les rosiers, une Reine des Roses. « Chaque année, la population élit une reine, censée incarner cette coutume, connaître la fleur et prendre soin des pieds. Elle marchait dans les champs, sans vraiment cueillir les pétales, vêtue d’un habit traditionnel, notamment porté pendant le festival », poursuit-elle. Les secrets de l’eau de rose se transmettent de mère en fille : « De nombreuses familles ont leur propre roseraie, qu’elles entretiennent, et tout le monde dans le foyer semble avoir un rôle à jouer. Ainsi, pour moi, cette tradition ressemble à un battement de cœur autant collectif que collaboratif, car chacun y contribue d’une manière ou d’une autre », conclut-elle.