Le 4 juillet dernier, les Rencontres d’Arles lançaient une 53e édition que la rédaction de Fisheye a eu le loisir de découvrir. À cette occasion, voici quelques expositions à ne pas manquer si vous prévoyez de vous rendre au festival cet été !
Dimanche s’achevait la semaine d’ouverture de la 53e édition des Rencontres d’Arles. La rédaction de Fisheye était sur place pour découvrir la programmation concoctée par Christoph Wiesner, directeur pour la seconde année du prestigieux festival dédié au 8e art. Féminisme, revendications écologiques… Si nous partageons ces préoccupations, développées dans plusieurs expositions, nous avons parfois été frustrées. Les causes ? Un équilibre entre le message et la monstration précaire, et de rares prises de risques en matière de scénographie. Bien heureusement, il n’y a pas que des expositions conceptuelles réservées aux initiés… Nous avons également découvert des propositions astucieuses et indispensables. Si vous planifiez un passage au cœur de la cité arlésienne, nous vous partageons nos coups de cœur !
Expérimentations en terre sacrée
Direction le Mexique, dans la vallée désertique de Wirikuta. Julien Lombardi nous ouvre les portes d’un territoire sacré où sont nés les mythes fondateurs des Indiens Huichols. Ces derniers viennent d’ailleurs en pèlerinage pour honorer la naissance du soleil et du feu chaque année. C’est dans ce territoire menacé par les industries minières, agricoles, et touristiques – et plus largement par le capitalisme et la mondialisation – que le photographe français a choisi d’installer son laboratoire expérimental. « Comment représenter ces phénomènes avec l’appareillage photographique, qui est lui-même, techniquement et chimiquement, lié à l’extraction des minerais et d’autres ressources naturelles ? », s’interroge le responsable de la collection photographie du Centre national des arts plastiques Pascal Beausse, dans le texte introductif. Julien Lombardi ne dénonce pas seulement, il prélève, constate. Et pour ce faire, il multiplie les points de vue et les approches : il filme à l’infrarouge une cérémonie chaman ou encore contamine ses images par le soleil et la poussière. Dans sa série La terre où est né le soleil, il invente une forme de réalisme fantastique où le documentaire et la poésie se confondent. En capturant cette zone en péril, il donne l’alerte : notre terre est bel et bien fragile.
© Julien Lombardi
Les combats qui anim(ai)ent les femmes
Dans le même espace qui avait accueilli l’année précédente Masculinities – la Mécanique générale – les Rencontres d’Arles font cette année la part belle aux femmes. Sous le commissariat de Gabriele Schor, l’exposition Une avant-garde féministe donne à voir l’étendue de la Collection Verbund. Imaginé en plusieurs chapitres (Femme au foyer – mère – épouse, Enfermement – émancipation, Diktat de la beauté – corps féminin, Sexualité féminine et Identité – Jeu de rôle), le parcours se veut aussi didactique que poignant. Dans le vaste espace se croisent les photographies, performances et vidéos de nombreuses artistes désireuses de revendiquer leur liberté. Parmi elles ? Ana Mendieta, Annette Messager, ORLAN, Cindy Sherman ou encore VALIE EXPORT. À ces figures importantes s’ajoutent de nombreuses autrices, ayant toutes contribué à mettre en place une nouvelle « image de la femme », loin du courant de pensée sexiste étouffant de l’époque. Une collection impressionnante montrant leur hargne et leur créativité – d’autant plus touchantes au cœur du contexte sociopolitique actuel.
Une avant-garde féministe, Mécanique générale
© à g. Courtesy The Woodman Family Foundation / Artists Rights Society (ARS) / Bildrecht, Vienne, à d. The Estate of Ana Mendieta Collection, LLC / Galerie Lelong // COLLECTION VERBUND
La photographie et l’humanitaire, une question de point de vue
Un monde à guérir
. C’est ainsi qu’est intitulée l’exposition co-produite avec le musée international de La Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (MICR) et les Rencontres d’Arles. Un titre particulièrement d’actualité. Au sein du palais de l’archevêché sont réunis photographes anonymes et grands noms – soit près de 160 ans d’imagerie humanitaire. Existe-t-il une bonne manière de photographier la souffrance ? Notre regard est-il différent de celui de l’époque ? Une image vaut-elle vraiment mille mots ? Mobiliser, montrer, réévaluer, l’exposition revient sur les rôles et objectifs de la photographie humanitaire tout en questionnant le statut même de l’image. Et le regardeur dans tout cela ? ll voyage et se remémore les catastrophes écologiques et autres abominations causées par l’homme : les guerres, les camps de concentration, les inondations et tremblements de terre. Si l’on regrette que l’exposition soit réduite aux archives du MICR, on apprécie ce bel hommage rendu aux héros (infirmiers, ambulanciers, médecins) et photographes, présents sur le terrain au quotidien. Loin des discours de victimisation, cette exposition invite à regarder le hors-champ de l’image. On souligne d’ailleurs les deux postes de vidéos où des experts – photographe, archivistes, historien ou encore le président du CIR – analysent des images venues du Liban, du Rwanda ou encore du Pakistan. Une exposition qui croise les points de vue et les engagements.
Un monde à guérir, Palais de l’Archêvé.
Boris Heger. Site de distribution de nourriture, Abata, Soudan, 2006 © CICR.
Les déambulations fragmentées de Lukas Hoffmann
Dans les combles du Monoprix d’Arles se cache Evergreen, deux ensembles d’images signées Lukas Hoffmann. Si tous deux sont pris à la chambre photographique, ils résultent de deux approches différentes. Dans le premier, l’artiste helvético-australien a saisi les rues de Berlin d’un geste furtif. Dans les aléas du mouvement imprécis, il immortalise ses sujets volatiles, sans jamais regarder le viseur. L’action fugace ou le bruissement d’une étoffe, la texture de la peau ou celle d’une large bâtisse, un moment d’attente solitaire ou un fragment de vie en suspens… La légèreté de cette collection de déambulations porte en elle la contrainte paradoxale du médium, volumineux et peu discret. Dans des plans serrés en noir et blanc, les êtres surgissent des foules et esquissent toute une déclinaison de récits. À l’inverse, la seconde série propose des polyptyques de grands formats qui distillent une certaine lenteur. Le motif se décompose tout autant, pour mieux s’effacer derrière sa propre représentation, derrière ce qu’il est par essence et non les fantaisies qu’il multiplie. Parfois difficiles à appréhender, un mur abîmé ou les lettres estompées d’un container invitent à exercer nos regards face à l’abstraction dont se pare le quotidien. Cette quête nébuleuse se prolonge dans un autre genre dans les salles attenantes à l’exposition. Une vingtaine d’artistes y donnent à voir Chants du ciel. Ce panorama de nuages polymorphes interroge la photographie numérique, les infrastructures qui l’accueillent et les réseaux qui s’y déploient.
Evergreen, Lukas Hoffmann, Monoprix
© Lukas Hoffmann
Chaos contemplatif et rêveries climatiques
Comment la Terre évolue-t-elle ? Quels liens nous unissent à elle ? De quelle manière écrire son histoire géologique ? Fascinée par la paléoclimatologie (l’étude des climats passés) comme par notre connexion à notre planète, Noémie Goudal fait de l’Église des Trinitaires le décor de ses « illusions naturelles », présentées notamment au Grand Café Saint-Nazaire en octobre dernier. L’occasion parfaite pour (re)découvrir trois de ces travaux. La série Phoenix dévoile des glitchs organiques créés à l’aide de bandes de papier représentant des arbres, ensuite accrochés face au paysage photographié – un trompe-l’œil fascinant rappelant le caractère parfois trompeur du 8e art. Le film Inhale Exhale montre quant à lui la Terre dans un état de mouvement perpétuel. Une rotation infinie aux sons lourds et lancinants, enregistrée dans un décor marécageux. Enfin, Below the Deep South propose aux visiteur·ses une pause contemplative bienvenue. Une flamme apparaît au cœur d’un décor tropical, détruisant lentement la végétation par strates – se révélant toutes être des feuilles de papier. Lentement, le feu ronge tout. Chaque branche, chaque feuillage disparaît dans des volutes cendrées d’une beauté douloureuse. Enfin, lorsque seules les ruines végétales demeurent, un décor est révélé : celui de cette mise en scène, une simple pièce vide. Une manière poétique de questionner notre rapport à l’environnement, ainsi que les conséquences de nos actes sur une nature de plus en plus friable.
Phoenix, Noémie Goudal, Église des Trinitaires
© Noémie Goudal / courtesy Galerie Les Filles du Calvairee
Et pour les courageux et courageuses, à 20 min de marche seulement, au musée départemental Arles antique…
L’inexorable enlisement du monde
Au commissariat de Et pourtant, elle tourne, une exposition collective accueillie par le Musée départemental Arles Antique, se trouve Paul Graham. Le photographe britannique installé aux États-Unis rend ici hommage à sa terre d’adoption, en croisant les regards de neuf artistes. Leur point commun ? Tous racontent des « histoires sans histoire » inspirées par l’Amérique du 21e siècle. Des récits ancrés dans une immobilité aussi indolente que poétique, où se devinent les problématiques d’un monde contemporain qui continue, malgré tout, d’avancer. Le tout sublimé par une écriture post-documentaire, puisant dans les mythes fondateurs. Ainsi, au rêve américain que représentent, chacune à leur manière, Vanessa Winship et Kristine Potter s’opposent la ségrégation invisible de Piergiorgio Casotti et Emanuele Brutti. Le duo fait dialoguer des portraits monochromes d’Afro-Américains, littéralement et métaphoriquement enfermés dans des maisons, et des paysages de banlieues où seuls quelques détails permettent de déduire dans quelle partie de la ville ils se trouvent. Dans ZZYZX, Gregory Halpern entreprend quant à lui un mouvement de l’est à l’ouest de Los Angeles, du désert au Pacifique, comme un écho à l’expansion originelle du pays, causée aujourd’hui par un besoin vital d’eau. Un périple dont il capture les décors, les détails et les habitants. À travers ces contes contemplatifs, les auteurs allient quêtes d’esthétique et de sens, comme si, en invitant la beauté dans un quotidien enlisé, certains de nos plus grands questionnements allaient enfin trouver réponse.
Et pourtant, elle tourne, Musée départemental Arles antique
© Curran Hatleberg / MACK
Et en dehors des Rencontres…
Ode à la noirceur
Poignante, ténébreuse, c’est ainsi que l’on pourrait définir l’œuvre d’Arthur Jafa. Dans la Grande Halle, Luma Arles présente Live Evil. Une exposition immersive pensée presque comme une performance. Inspiré par l’histoire des États-Unis, sa violence, ses répressions, et par le concept de « noirceur » (« blackness », en anglais, NDLR), l’artiste contemporain a imaginé un espace en noir et blanc peuplé d’images et de sons où s’entremêlent pensées nihilistes et envolées poétiques. Sur les murs, des personnages de la pop culture croisent des rassemblements racistes dont les leaders endoctrinent les enfants, des cavernes lugubres, des corps malmenés, blessés, tabassés, ou même des natures mortes monochromes. Dans des salles obscures s’enchaînent des vidéos trouvées dans les tréfonds d’Internet, fusionnant déclarations haineuses et moments de grâce. Et, au fond de l’une d’elles, défile une suite de clichés aux résonances troubles, nous plongeant dans un malaise fascinant. Car Arthur Jafa aime inventer des « cartes cognitives » nées d’associations, qui nous invitent à relire le passé et à imaginer les possibilités futures, qui nous rappellent, de manière implacable, que le pays du rêve américain est régi par un suprémacisme blanc gangréneux. De cet endroit émane une mélodie lancinante, répétitive. Et, comme pour appuyer son propos, l’auteur la diffuse d’œuvre en œuvre, de pièce en pièce – pour qu’elle ne nous quitte plus. Elle convoque une atmosphère étouffante, malgré la grandeur de l’espace d’exposition. Comme un appel à une apnée brutalement réelle, causée par l’état actuel de notre société. Une véritable plongée, parfaitement maîtrisée, dans une fin du monde inéluctable.
Live Evil, Arthur Jafa, Luma Arles, La Grande Halle
© Arthur Jafa
Image d’ouverture : Boris Heger. Site de distribution de nourriture, Abata, Soudan, 2006 © CICR.