Arrachées à la nuit, les allégories de Charlotte Mariën

Arrachées à la nuit, les allégories de Charlotte Mariën

Avec une approche expérimentale au noir et blanc intense, la photographe belge Charlotte Mariën arrache à la nuit des figures sensiblement allégoriques. Ces derniers nous tendent la main, et nous invitent à interroger le rôle de l’image photographique.

« J’ai commencé à faire de la photographie expérimentale en 2017, poussée par ma propre curiosité. Une expérience a entraîné de l’inspiration, qui à son tour, a mené à de nouvelles expériences… La pratique a stimulé mon imagination et vice-versa »

, explique l’artiste Charlotte Mariën, installée en Belgique. Dans une collection d’images mystérieuses, au noir et blanc intense, le projet visuel de la photographe est indissociable de son approche expérimentale. En mélangeant fumée, projections, verre, plastique et même miroirs, elle conçoit des scènes allégoriques qui perturbent nos repères. Déboussolés, on découvre des personnages fantastiques qui nous tendent la main et nous invitent à vivre leurs récits. Ici, un homme seul s’aventure sous la neige. Là, au fond de la nuit, un autre tombe à l’eau. Et surgit alors une femme se dévoilant, sensuellement, derrière le drapé d’un rideau. À mi-chemin entre le rêve et la réalité, les protagonistes nous murmurent un secret : un passe-droit vers un autre monde. Un univers profondément surréaliste et troublant. « L’idée m’a frappé de créer une série cohérente autour de mes expériences. Je sentais que les techniques ne relevaient pas seulement de la curiosité, mais d’une matière capable de donner du sens aux images », poursuit-elle.

Une idée originale dévoile un monde. Mais un nouveau monde cache son lot de contraintes inattendues. Exemple parfait : le cliché d’une femme projetée sur une chaussure – une illustration des recherches plastiques de Charlotte Mariën. Résultat d’une multiplication de strates expérimentales, l’image se lit comme l’aboutissement d’un dialogue entre technique et esthétique. En travaillant avec un vidéoprojecteur, elle est parvenue à complexifier une scène pour le moins anodine et y ajouter de nombreuses lectures. Certes, des contraintes formelles sont apparues, mais ces dernières se sont finalement avérées optimales pour composer l’image. « J’étais sur un projet de mode et je réfléchissais à des façons intéressantes de mettre en avant la chaussure. En m’amusant avec des projections, je suis arrivée à introduire la silhouette d’un modèle qui défile. Cela donnait vie à la chaussure ! On retrouvait son essence dans l’acte gracieux de la marche… », avance la photographe. Indéniablement ludique, son travail invite le regardeur à l’immersion. Il le taquine, le provoque, l’amuse, mais surtout l’écoute – dans toutes ses émotions et ses interrogations.

© Charlotte Mariën© Charlotte Mariën

Une lumière aveuglante

Le maître mot de ses créations ? Le mystère. Arrière-plan constant des images de Charlotte Mariën, il s’immisce dans les interstices de ses compositions – et dans toutes les crevasses de ses mises en scène. Car l’artiste fige inlassablement l’instant au flash. Plongée dans la nuit, elle incendie ses sujets d’une lumière aveuglante. Et pris en flagrant délit, ses modèles se recroquevillent et se cachent de l’objectif. « Une grande partie de mon travail consiste en des scènes de nuit. Ce que je trouve inspirant dans ces décors nocturnes, c’est comment l’imagination déborde et cherche à combler les vides. Elle y ajoute des entités floues et complètement cachées », poursuit-elle. En jouant avec l’émotion du regardeur, ces images provoquent l’inspiration et amènent à voir de nouvelles dimensions de la réalité. « Beaucoup de choses dans le monde ne sont pas directement visibles et sont donc trop souvent sous-évaluées, car la science n’y apporte pas d’explication », explique-t-elle. La photographe, quant à elle, y apporte une réponse en les pointant du doigt – pour déceler l’ineffable. Face à ces scènes noircies, elle foudroie l’obscurité et introduit un éclair qui transperce la nuit. On aperçoit alors la vérité cachée derrière les apparences.

Parmi ces réalités complexes, Charlotte Mariën explore avec ses expérimentations, la question de la représentation de la femme. En témoigne, entre autres, une série d’images qui cherchent à renverser le male gaze dominant. « C’est important de poursuivre la discussion autour de la représentation des femmes. Moi-même, je n’arrive pas à résoudre ce problème complexe. Je n’approuve pas la surexploitation du nu féminin, mais je ne considère pas le nu comme nécessairement objectivant, argumente l’artiste. En suscitant un débat inclusif, j’examine les nuances – riches et subtiles – sur l’instant où la représentation féminine devient problématique. » Car le constat est simple : la majeure partie des images commerciales de femmes ont été réalisées par des hommes. Et l’obsession que ces derniers déploient sur la beauté physique impacte en profondeur la représentation que la société se fait de la femme. En réponse, l’artiste propose des images aux interprétations multiples, où l’esthétisme porté sur le corps est contrebalancé par une écriture plurielle. « Chaque image, à sa manière, refuse l’attention portée au seul physique en ajoutant une dimension supplémentaire, loin du jugement objectivant », conclut la photographe, qui s’applique avec la même intensité à toutes ses recherches. Pour susciter la réflexion, Charlotte Mariën arrache ses sujets à la nuit et propose une démarche expérimentale – où les lectures se prolifèrent au rythme de ses allégories.

© Charlotte Mariën© Charlotte Mariën

© Charlotte Mariën

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