Au Palais augmenté, Julien Creuzet redonne vie à la diaspora africaine

16 juin 2022   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Au Palais augmenté, Julien Creuzet redonne vie à la diaspora africaine

Sculpteur, vidéaste, performeur et poète… L’artiste plasticien Julien Creuzet conjugue les médiums pour explorer les imaginaires de la diaspora africaine. Il revient ici sur sa série Ogun et Mars, actuellement exposé au Grand Palais Éphémère à l’occasion du Palais augmenté. Entretien.

Fisheye : Quels que soient les médiums que tu convoques, l’image reste au cœur de tes projets. Que représente-t-elle pour toi ?

Julien Creuzet : L’image, c’est une porte ou une fenêtre qui raconte une histoire. C’est une autre manière de montrer, de représenter ou de manipuler le monde. Ce qui devient intéressant, avec un tel médium, c’est toute la sémiologie qui en découle, c’est commencer à établir une certaine narration.

Comment l’idée d’Ogun et Mars t’est-elle venue ?

J’ai commencé cette série il y a quelques années. Ogun et Mars s’inscrit dans la continuité de mes trois derniers projets. Le premier, Ogun, est à la fois un film et une installation qui parlent d’une divinité vaudou de la guerre. Dans une autre cosmogonie, Mars, qui est au cœur du second volet, est également une divinité belliqueuse. J’aimais bien l’idée d’associer ou de provoquer la rencontre de deux cultures ou mythologies qui sont aux antipodes l’une de l’autre. L’une est occidentale, l’autre est afrodiasporique.

Cet héritage permet alors de parler de discontinuité ou bien de continuité avec des manques, directement liés à l’histoire coloniale et à ce qu’elle laisse dans l’ADN, dans la mémoire des corps, des gestes, des mots, des sons, des mélodies… C’est une quête infinie que de tenter de se connaître davantage et d’apprivoiser ses parts d’ombre pour mieux exister dans notre contexte actuel en tant que personne noire vivant à Paris.

© Julien Creuzet

Quelles histoires racontes-tu dans ce nouveau chapitre ?

Dans Ogun et Mars, les divinités se confrontent et se mettent à dialoguer. Une collection de soldats de plomb montre des armées indigènes des empires coloniaux de la fin du 19e siècle/début du 20e siècle. On y trouve des tirailleurs sénégalais ou éthiopiens, des Zouaves, des Zoulous… Ils planent comme un essaim d’abeilles ou d’oiseaux, regroupés comme une constellation ou un banc de poissons… J’aimais bien cette idée de quelque chose qui flotte, et que l’on soit à l’intérieur de cet immense et intense mouvement. Il y a également deux autres personnages. L’un essaye de définir son héritage panafricain à travers un certain nombre d’ouvrages importants pour les cultures afrodiasporiques. Ceux-ci passent par des langues francophones, anglophones, lusophones et hispanophones. L’autre tente de résister à sa façon en répétant une danse bèlè qui est une tradition martiniquaise, issue du contexte esclavagiste.

J’aimais aussi le fait que le Grand Palais Éphémère soit éphémère, et surtout qu’il se trouve sur le Champ-de-Mars qui fait référence à une histoire des armées, des conflits, de la domination… C’est pourquoi j’ai joué du contexte, de la géolocalisation, et que j’ai souhaité parler de Mars. C’est important d’ouvrir les imaginaires si on veut évoquer les notions de pouvoir et remettre les éléments en perspective dans un récit plus vaste.

© Julien Creuzet

Peut-on voir une forme de syncrétisme dans ce mélange des influences ?

Après deux ans de pandémie, beaucoup de personnes se sont posé un certain nombre de questions. De nouveaux termes sont arrivés dans notre langue comme la résilience, le lâcher-prise… Beaucoup ont décidé de retrouver une relation saine avec leur corps, leur tête. De recréer un lien entre les deux, notamment en se mettant à la méditation, au yoga, ou ce genre de choses. Est-ce que ces personnes autour de nous sont au courant qu’elles pratiquent une forme de syncrétisme ou de réappropriation culturelle ? Je ne sais pas, mais je pose des questions. J’essaye de partager un imaginaire. Selon moi, la fonction d’une œuvre d’art est de donner matière à avancer, à rêver.

À qui s’adresse ce projet ?

Ce travail s’adresse à tous ceux qui veulent se laisser pénétrer par une œuvre et ouvrir leur imaginaire pour commencer – ou recommencer – à rêver, à réfléchir aux questions sous-jacentes que je pose. Il s’ancre parfaitement dans notre monde. J’essaye de mettre en place une continuité et, plus largement, un projet de vie. C’est une façon de poursuivre son chemin et de s’enrichir.

 

© Julien Creuzet

© Julien Creuzet

© Julien Creuzet

Explorez
Le Liban suspendu de Charbel Alkhoury 
© Charbel Alkhoury
Le Liban suspendu de Charbel Alkhoury 
Avec Not Here Not There, l’artiste visuel libanais Charbel Alkhoury propose un ouvrage bouleversant, à mi-chemin entre mémoire intime et...
08 août 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Chloe Sharrock : chants de bataille
© Chloe Sharrock / MYOP
Chloe Sharrock : chants de bataille
Photojournaliste de profession, Chloe Sharrock a couvert de nombreux conflits. Dans Il hurlait encore, la membre de l’agence MYOP...
07 août 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Visa pour l’image 2025 : récits d’un monde en crise
Des chèvres se tiennent près d’une maison alors que l’incendie de Thompson progresse à Oroville. 2 juillet 2024. © Josh Edelson / AFP
Visa pour l’image 2025 : récits d’un monde en crise
Du 30 août au 14 septembre 2025, Perpignan accueille la 37e édition de Visa pour l’image, le grand rendez-vous international du...
06 août 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
5 questions à Nyo Jinyong Lian : la fiction pour (re)faire société
Intrusion, de la série Trust Me © Nyo Jinyong Lian
5 questions à Nyo Jinyong Lian : la fiction pour (re)faire société
L’artiste chinoise Nyo Jinyong Lian, récemment diplômée des Beaux-Arts de Paris et lauréate du prix Jeunes Talents 2025 des Agents...
06 août 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Dans l'œil de Jonathan Chandi : un clip dans un monde parallèle
© Jonathan Chandi
Dans l’œil de Jonathan Chandi : un clip dans un monde parallèle
Aujourd’hui, plongée dans l’œil de Jonathan Chandi, photographe autodidacte belge. L’artiste réinterprète avec une grande délicatesse et...
Il y a 2 heures   •  
Écrit par Marie Baranger
Les coups de cœur #554 : Katarina Marković et Marine Payré
© Katarina Marković
Les coups de cœur #554 : Katarina Marković et Marine Payré
Katarina Marković et Marine Payré, nos coups de cœur de la semaine, apprécient jouer avec le flou dans leurs portraits. La première les...
Il y a 7 heures   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Les images de la semaine du 4 août 2025 : revoir le monde
Metropolis III, 1987 © Beatrice Helg
Les images de la semaine du 4 août 2025 : revoir le monde
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, les photographes de Fisheye nous invitent à porter un autre regard sur le monde selon des...
10 août 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Chiara Indelicato, voix de Stromboli
© Chiara Indelicato, Pelle di Lava
Chiara Indelicato, voix de Stromboli
Exposée à la galerie Anne Clergue, à Arles, jusqu’au 6 septembre 2025, Pelle di Lava, le livre de Chiara Indelicato paru cette année chez...
09 août 2025   •  
Écrit par Milena III