Installé entre les États-Unis et l’Équateur, l’économiste et photographe Felipe Jácome propose, avec sa série Caminantes, une lecture singulière des conséquences de la crise vénézuélienne. Un travail plastique, esthétique et politique. Cet article est à retrouver dans notre dernier numéro.
« L’été dernier, alors que j’étais à Quito, en Équateur, j’ai assisté à l’arrivée de milliers de migrants vénézuéliens. Un jour, avec des amis, nous avons été au nord de la ville, dans une station de bus où nombre d’entre eux s’étaient réfugiés. Nous avons apporté de l’eau, de la nourriture, et des couvertures. C’est dans ce contexte que j’ai croisé une petite fille qui m’a offert un origami fabriqué avec un billet »
, se souvient Felipe Jácome, photographe documentaire de 33 ans. Cette rencontre a été le premier indice d’une énigme à résoudre. Le Venezuela, qui possède les plus grandes réserves de pétrole au monde, était il y a quinze ans encore le pays le plus riche d’Amérique latine. Et pourtant, depuis 2013, cet État connaît un chaos politique, monétaire, social et migratoire sans précédent. Une hyperinflation record et la baisse de la croissance ont entraîné d’importantes pénuries d’argent et de produits de première nécessité. En 2017, la fédération pharmaceutique du pays estimait que les Vénézuéliens étaient confrontés à une pénurie d’environ 85 % des médicaments. Pillages, saccages, agressions et meurtres sont devenus monnaie courante, et la fuite à l’étranger s’est imposée comme unique alternative.
Destination rêvée
« L’origami toujours en main, j’essayais d’imaginer le quotidien dans un pays où l’argent avait perdu de sa valeur, et où le salaire mensuel pouvait tout juste permettre d’acheter un sac de riz »,
ajoute le photographe. Il s’est alors joint aux caminantes (« les marcheurs », ou migrants, qui ont décidé de quitter le pays) durant une semaine, et les a photographiés en les accompagnant sur près de 200 kilomètres. Un périple qui fait écho à son histoire personnelle. « Lorsque j’avais 14 ans, durant la crise économique de 1999, avec ma famille nous avons quitté l’Équateur pour les États-Unis. Je suis par ailleurs lié au Venezuela: bien avant ma naissance, dans les années 1970, la famille de mon père avait quitté l’Équateur pour le Venezuela, la destination rêvée de l’époque. Plus récemment, la tendance s’est inversée et les anciens migrants rentrent dans leur pays d’origine. Il est évident que mon expérience de réfugié et d’exilé politique marque mon travail », explique Felipe Jácome.
Le besoin de témoigner de cette histoire l’a conduit à développer des projets à caractère social, avec souvent une dimension militante. Diplômé de la London School of Economics, le photographe a puisé dans ses connaissances pour réaliser Caminantes. « Ma formation d’économiste me permet de mieux comprendre les forces derrière cette crise. J’allie donc la théorie à un travail de terrain. C’est d’ailleurs pour cela que je suis photographe : je peux aller sur place et rencontrer la population concernée. » Après son expérience sur le terrain, il improvise une chambre noire dans sa salle de bains, tapisse de grands panneaux de bois avec des bolivars – la monnaie vénézuélienne –, les sensibilise avec une émulsion argentique, avant d’y imprimer ses photos. « L’échelle est importante, je veux faire réfléchir le regardeur », commente Felipe Jácome. En résultent des pièces uniques atteignant jusqu’à un mètre de largeur. Un support ô combien symbolique, puisqu’au Venezuela la monnaie était une source de fierté (…)
Cet article est à retrouver dans son intégralité dans Fisheye #38, en kiosque et disponible ici.
© Felipe Jácome