Dans Black-out, un récit autobiographique aux écritures multiples, Mathis Benestebe tente d’apprivoiser l’amnésie traumatique qu’il endure, en donnant corps à ses souvenirs – et leurs lacunes.
Des halos lumineux dans l’obscurité, des fragments d’enfance, recouverts d’un liquide blanc, qui annonce l’oubli, l’effacement, la violence assourdie. Sous la lumière bleue, ces souvenirs brillent, annoncent l’envie de se rappeler, tout comme l’effroi de l’inconnu. À leurs côtés, des images d’archives viennent stimuler la mémoire, et des représentations effrayantes – teintées d’un rouge sang, cette fois – annoncent l’arrivée des cauchemars. Dans Black-out, Mathis Benestebe tente d’éclairer ses propres zones d’ombres, de questionner la fiabilité de sa perception, rendue floue par les absences et l’amnésie.
Installé à Toulouse, le photographe de 20 ans a découvert le pouvoir évocateur des images à travers les albums photo familiaux, « qui constituait un socle de souvenirs », précise-t-il. Dès ses quatre ans, il réalise, à son tour, des clichés qui marquent l’instant présent, l’ancrent dans un environnement qu’il juge marquant. « Cette envie de garder trace ne m’a jamais lâché, et j’ai débuté des études de photographie à l’ETPA, que je viens de terminer », poursuit-il. Au fil des années, il développe une écriture intime, autobiographique, s’appuyant sur ses propres expériences pour mettre de l’ordre dans le monde qui l’entoure. Une démarche qui annonce la naissance de Black-out. « J’ai débuté cette série il y a un an. Elle fait suite à un premier flash-back qui m’a lancé dans une recherche assez obsessionnelle autour de souvenirs perdus. J’étais très frustré de ne pas arriver à retrouver la mémoire de personnes, de lieux que j’avais connu·es. J’ai essayé des méthodes, des thérapies qui n’ont pas porté leurs fruits, et je me suis rendu à l’évidence : on ne peut forcer sa propre mémoire à se souvenir », confie Mathis Benestebe.
Une enquête dans l’inconscient
L’amnésie traumatique. « C’est une perte de mémoire générée par un niveau de stress intense. Face à cette situation, le cerveau met en place un mécanisme de survie qui s’apparente à un disjoncteur », explique l’auteur. Face au traumatisme, le cerveau cesse de traiter l’information de manière émotionnelle, pour survivre, pour avancer sans souffrance. « Grâce à la production de neuromédiateurs, l’amygdale au centre de nos émotions est éteinte, déconnectée du cortex associatif. De manière simultanée, l’hippocampe, responsable de la mémoire, est hors d’accès, ne peut enregistrer convenablement ce contenu, ce qui provoque une amnésie partielle ou totale de l’événement, une rupture dans la mémoire déclarative autobiographique », précise-t-il. Un mécanisme que l’on relie fréquemment aux cas de violences sexuelles – plus particulièrement subies durant l’enfance.
Et face à la réalisation, Mathis Benestebe emploie l’image pour avancer. Pour tenter de se réapproprier ce qui lui échappe – ou ce qui lui a été volé. Percevant Black-out comme « une enquête dans [s]on inconscient, une sorte de grenier poussiéreux », l’artiste mêle photographies d’archive, instantanés réalisés de ses quatre à ses dix ans, mises en scène éclairées à la lampe torche, et natures mortes écarlates colorées par un mélange de peinture UV et de lubrifiant. Autant d’évocations terrifiantes apposant un filtre trouble sur le réel. En parallèle, des clichés monochromes au grain prononcé disent l’incertitude sensorielle, la peine à faire confiance à sa propre psyché. Comme une remise en cause constante de soi, un tourbillon de doutes et de certitudes qui s’entremêlent et forment un nœud serré. Car là, dans la pénombre environnante, seules les fulgurances apparaissent. Leur luminosité éclipse toute notion de réel, repousse les nuances un peu plus loin dans la noirceur. Et, au croisement des écritures photographiques, tâtonnant au cœur de la nuit noire, Mathis Benestebe se lance dans une quête singulière : « retrouver ma mémoire, ou plutôt, donner corps à celle-ci ». Un travail poignant, puisant dans l’imaginaire de son enfance pour en extirper des réponses arrachées au passé. Pour, enfin, parvenir à faire la paix avec une ignorance imposée.