À l’occasion du Mois de la photo, Fisheye a retenu quatre expositions thématiques qui, chacune à leur manière, révèlent leur époque. Dans ces expériences, le travail de commissaires d’exposition sur une thématique, ajouté à la valeur contextuelle de chaque image, finit par dessiner des ensembles dont la signification échappe presque à ceux qui les ont réalisés. Leurs travaux composent des cartographies partielles et subjectives, des points de vue singuliers sur le monde, comme les quatre expositions proposées par les Archives nationales, la Fondation Cartier, la Maison européenne de la photographie et la Maison rouge. Toutes racontent une époque depuis un belvédère : à bord des premiers avions qui sillonnaient le territoire français au début des Trente Glorieuses, depuis le volant d’une voiture au XXe siècle, à travers le corps fragmenté, ou depuis les marges tapies dans l’ombre contestataire des décennies post-soixante-huitardes.
Obsession pour l’automobile
Notre rétrospective historique commence derrière le volant, à la Fondation Cartier.
« La Fondation a été une des premières institutions à prendre l’automobile au sérieux dans le monde de l’art »,
nous précise au début de l’entretien Leanne Sacramone, commissaire adjointe de l’exposition Autophoto. À travers cet accrochage, la Fondation met en relation deux inventions de la révolution industrielle qui, même si elles ont cinquante ans d’écart, possèdent de nombreuses affinités : toutes deux ont été sérialisées et rapidement démocratisées. Un point de départ : tous les photographes sélectionnés ont eu une obsession pour l’automobile, qu’ils l’aient pris comme sujet ou qu’ils l’aient utilisée comme outil de travail – à travers des road trip.
L’ensemble est massif. Durant plus d’un an, Xavier Barral, Philippe Séclier et Leanne Sacramone ont brassé plus de 10 000 images pour parvenir à une sélection d’environ 500 photographies. Il en résulte un portrait d’une société bouleversée pendant un siècle, à travers l’automobile. Depuis son arrivée comme invention providentielle, avec notamment le travail du couple Sylvie Meunier et Patrick Tournebœuf – qui ont collecté des photos de familles posant devant leur voiture au début du siècle –, jusqu’aux clichés de Jacqueline Hassink qui photographie les jeunes hôtesses dans les salons de l’automobile contemporains, en passant par les décharges de pneus photographiées par Edward Burtynsky, Autophoto dresse le parcours de l’automobile et des profondes mutations historiques et sociologiques qui l’ont accompagnée depuis cent ans.
« Nous avons des œuvres qui parlent toutes d’un aspect très différent de l’automobile, et donc de la société, explique Leanne Sacramone. Ensemble, elles tissent un récit assez complet. On voit réellement une évolution entre l’idée initiale qu’il s’agit d’un objet formidable du futur, à un changement de mentalité. Le tout à travers l’œil des photographes. » Pour illustrer ses propos, Leanne évoque l’évolution entre les images de Jacques-Henri Lartigue et de Walker Evans au début du siècle de la voiture, comme nouvel engin dans la ville, à celles de Philippe Chancel sur les usines démantelées dans la triste ville de Flint, dans le Michigan. Le tout sans oublier de documenter les profondes mutations du paysage induites par le moteur : apparition des autoroutes, des ponts, des banlieues…