Dans la bibliothèque de Jean-Christophe Béchet #4

12 janvier 2017   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Dans la bibliothèque de Jean-Christophe Béchet #4

Quand Harry Callahan débarque dans le Sud de la France en 1957, avec sa femme Eleanor et sa fille Barbara, il découvre un nouvel univers, loin de l’Illinois et de cette Amérique du Nord qu’il n’a jamais quitté.  Alors âgé de 45 ans, il est un professeur de photographie reconnu de l’Institut of Design de Chicago et un artiste apprécié par ses pairs. Discret, timide, presque transparent, il vient de recevoir (sans l’avoir sollicité !) une généreuse bourse de création de la Fondation Graham. Il prend donc une année sabbatique et se retrouve en Provence avec une carte blanche aussi enthousiasmante qu’angoissante. Lui, le poète de l’urbanité et des solitudes modernes, le « pur » américain qui triture le réel dans l’obscurité de son cher labo argentique, que va-t-il faire dans cette campagne aixoise « trop harmonieuse » et dans cette ville d’Aix-en-Provence où le pittoresque l’assaille et le paralyse ? Il va lui falloir quelques mois pour ajuster son regard et trouver son rythme.

"France 1957-1958", © The Estate of Henry Callahan; courtesy Pace/MacGill Gallery, New York; collection Maison européenne de la Photographie, Paris.
“France 1957-1958”, © The Estate of Henry Callahan; Courtesy Pace/MacGill Gallery à New York; Collection Maison européenne de la Photographie, Paris.

La parenthèse enchantée

Petit à petit, il se concentre sur les ruelles étroites d’Aix-en-Provence d’où émergent, au loin,  les jours de grands soleils, d’élégantes passantes en contrejour. Dans la campagne provençale, il s’intéresse au rythme de la nature, aux petits détails, aux herbes folles, aux toiles d’araignée. Il poursuit aussi sa série de nu avec celle qui sera son seul modèle, son épouse. Envouté par ce territoire romantique, il conçoit d’étranges surimpressions où le corps d’Eleanor se fond avec la garrigue. Cette période française sera pour lui une parenthèse enchantée. Callahan parlait peu et théorisait encore moins. Mais c’est pourtant un des photographes clefs de l’histoire américaine, le plus illustre représentant de cette école de Chicago qui s’est nourri de la philosophie du Bauhaus.

"France 1957-1958", © The Estate of Henry Callahan; courtesy Pace/MacGill Gallery, New York; collection Maison européenne de la Photographie, Paris.
“France 1957-1958”, © The Estate of Henry Callahan; Courtesy Pace/MacGill Gallery à New York; Collection Maison européenne de la Photographie, Paris.

Alors quand en 1994, presque quarante ans plus tard, il offre à la Maison Européenne de la Photo (MEP) à Paris, un ensemble de 130 tirages barytés issu de ce portfolio « français », son directeur, Jean-Luc Monterosso l’accueille avec enthousiasme et bienveillance. Après une première présentation à Arles il y a deux ans, la MEP propose aujourd’hui une exposition avec un large extrait de ces French Archives. Un beau catalogue est alors conçu (cosigné par la MEP et les éditions Actes Sud) pour conserver une trace de cette période française dans l’œuvre de Callahan. Bien imprimé, ce livre est un reflet fidèle du travail précis et subtil de ce maître du noir et blanc. On aurait sans doute apprécié une édition plus originale, peut-être plus luxueuse sur un épais papier mat. Mais on est déjà très heureux de pouvoir ranger dans sa bibliothèque ce livre d’une grande sobriété qui nous rappelle combien la photographie est aussi un art du silence et du recueillement.

Fisheye Magazine | Dans la bibliothèque de Jean-Christophe Béchet #4
Couverture du livre, “Henry Callahan, French Archives”
Fisheye Magazine | Dans la bibliothèque de Jean-Christophe Béchet #4
© The Estate of Harry Callahan / courtesy Pace/MacGill Gallery, New York
Collection Maison Européenne de la Photographie, Paris – Don de l’auteur

En (sa)voir plus

Harry Callahan, French Archives , éditions Actes Sud – Maison Européenne de la Photographie
260 x 248 mm – 144 pages
35 €

Explorez
Les coups de cœur #549 : Ainhoa Ezkurra Cabello et Bérangère Portella
Andrea © Ainhoa Ezkurra Cabello
Les coups de cœur #549 : Ainhoa Ezkurra Cabello et Bérangère Portella
Ainhoa Ezkurra Cabello et Bérangère Portella, nos coups de cœur de la semaine, saisissent l’intime, les corps et les relations aux...
07 juillet 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Nous autres, une ode à l'amitié et à la mémoire queer
Autoportrait avec JEB, E. 9th Street, New York, 1970 © Donna Gottschalk, Courtesy de l’artiste et de Marcelle Alix
Nous autres, une ode à l’amitié et à la mémoire queer
Avec Nous Autres, Donna Gottschalk et Hélène Giannecchini avec Carla Williams, présentée jusqu’au 16 novembre 2025, le Bal signe une...
04 juillet 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Sous les paupières closes : un rêve surréaliste à Arles
Two Dinners, 2024 © Nyo Jinyong Lian
Sous les paupières closes : un rêve surréaliste à Arles
Du 7 juillet au 5 octobre 2025, la Fisheye Gallery ouvre son espace arlésien à quatre artistes émergentes : Eloïse Labarbe-Lafon, Anna...
02 juillet 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Les images de la semaine du 23 juin 2025 : queers, chimères et collectionneurs d'images
© Agathe Baur / Instagram
Les images de la semaine du 23 juin 2025 : queers, chimères et collectionneurs d’images
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, les pages de Fisheye ont été façonnées par des récits de genre, de sexualité, de figures...
29 juin 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Camille Lévêque décortique la figure du père
© Camille Lévêque. Glitch, 2014. Avec l’aimable autorisation de l’artiste
Camille Lévêque décortique la figure du père
Dans À la recherche du père, Camille Lévêque rend compte de questionnements qui l’ont traversée pendant de longues années....
Il y a 4 heures   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Le Brésil au grand angle
De la série Rua Direita, São Paulo, SP, vers 1970. © Claudia Andujar. Avec l’aimable autorisation de l’artiste / Instituto Moreira Salles.
Le Brésil au grand angle
Climat et transition écologique, diversité des sociétés, démocratie et mondialisation équitable… tels sont les trois thèmes de la saison...
Il y a 9 heures   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Pour ses vingt ans, MYOP rend hommage au passé pour mieux se tourner vers l’avenir
Militaires russes en visite sur le site de Chersonèse, Ukraine, 2005 © Julien Daniel / MYOP
Pour ses vingt ans, MYOP rend hommage au passé pour mieux se tourner vers l’avenir
Cette année, MYOP fête ses vingt ans. À cette occasion et dans le cadre des Rencontres d’Arles, les photographes de l’agence...
09 juillet 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Kikuji Kawada : la carte infinie d'un Japon en mutation
Endless Map © Kikuji Kawada, Courtesy PGI
Kikuji Kawada : la carte infinie d’un Japon en mutation
Jusqu’au 5 octobre 2025, à l’occasion des Rencontres de la photographie d’Arles, Kikuji Kawada investit l’espace Vague pour une...
09 juillet 2025   •  
Écrit par Marie Baranger