
Dörte Eißfeldt reçoit le prix Viviane Esders 2025 pour une œuvre qui repousse les frontières du médium, alliant rigueur conceptuelle et exploration sensible des matériaux photographiques. Elle est distinguée aux côtés d’Oleksandr Suprun et de Bohdan Holomíček, finalistes de cette édition marquée par une participation européenne exceptionnelle.
La photographe allemande Dörte Eißfeldt remporte le prix Viviane Esders 2025, succédant aux précédent·es lauréat·es avec une œuvre dont la force conceptuelle et la profondeur expérimentale ont convaincu le jury. Elle est distinguée aux côtés d’Oleksandr Suprun, figure majeure de l’école de photographie de Kharkiv connu pour son usage poétique du photomontage, et Bohdan Holomíček, photographe tchèque dont l’œuvre diaristique tisse un dialogue singulier entre image et texte. Le prix 2025 se démarque par une participation particulièrement riche : 222 candidatures issues de 25 pays européens, avec une progression notable de la représentation féminine et une ouverture géographique élargie. Autre élément marquant : 42 dossiers ont été proposés par les nominateur·ices, un nouveau groupe d’expert·es chargé·es d’identifier des artistes dont l’œuvre mérite reconnaissance ou redécouverte.

Une figure majeure de la photographie contemporaine allemande
Née à Hambourg en 1950, Dörte Eißfeldt est une figure majeure de la photographie contemporaine allemande. Formée à l’université des Beaux-arts de Hambourg, elle développe, dès les années 1970, une œuvre qui interroge les conditions mêmes d’existence de l’image photographique. Parallèlement à sa pratique, elle enseigne dans plusieurs institutions jusqu’à sa nomination, en 1991, comme professeure d’arts plastiques et de photographie à la Haute École d’arts plastiques de Brunswick, où elle exercera jusqu’en 2016.
Sa démarche se construit autour d’une attention intense aux procédés, aux matières et aux limites du médium. Pour elle, la photographie n’est pas le reflet du réel, mais une expérimentation : fragments de monde, lumière, chimie, papier et technologies numériques deviennent les matériaux d’une recherche où l’image, loin de se réduire à un sens, ouvre des espaces perceptifs instables, parfois sauvages, parfois délicats. Ses manipulations analogiques – solarisation, montages, expositions multiples – dialoguent avec les possibilités contemporaines de l’image hybride, créant des œuvres qui oscillent entre précision technique et surgissement poétique.
Des séries comme Generator (1987–1988), Schneeball/Boule de neige (1988) ou Haut/Peau (1991) témoignent de cette exigence. Dans Schneeball, une unique photographie d’une boule de neige multiplie ses métamorphoses jusqu’à devenir une forme cosmique ; dans Haut/Peau, la proximité d’un couteau et de la peau déploie un espace d’ambiguïté où douceur et menace se confondent. Plus récemment, Agfa Brovira (2011) rend hommage au papier argentique, tandis que HimmelHimmel/CielCiel (2017) interroge les illusions produites par les manipulations assistées par intelligence artificielle. Exposée dès 1971, présente dans de nombreuses collections, l’artiste a publié plus d’une vingtaine d’ouvrages. Son livre Stehen Liegen Hängen (2024) inaugure The Experimental Archive, un projet de relecture et de réactivation de ses archives. En distinguant Dörte Eißfeldt, le prix Viviane Esders confirme l’importance d’une œuvre où rigueur, expérimentation et poésie se rencontrent pour renouveler notre manière de regarder les images.



