Dossier Fisheye #47 : « L’erreur, c’est de rester seule parce qu’on pense qu’on est seule »

11 juin 2021   •  
Écrit par Eric Karsenty
Dossier Fisheye #47 : « L’erreur, c’est de rester seule parce qu’on pense qu’on est seule »

Dans le Fisheye n°47, nous sommes allés à la rencontre de plus d’une vingtaine d’acteurs du monde de la photo, pour enquêter sur l’intérêt de suivre un cursus scolaire spécialisé. Un dossier nuancé confrontant les points de vue d’anciens étudiants, professeurs et spécialistes. Pour approfondir, découvrez ici l’entretien complet de Myriem Karim, photographe autodidacte, passionnée de danse, musique et littérature. Propos recueillis par Éric Karsenty.

Ma pratique artistique a commencé avec la danse contemporaine et la musique. Très jeune, j’ai étudié ces disciplines au conservatoire. C’est un apprentissage fondamental dans mon parcours, car c’est la possibilité d’exprimer un rapport sensible au monde. Et puis, c’est la compréhension de limites poreuses : quand vous étudiez l’histoire de la danse, vous êtes amené.e.s à vous intéresser à la musique, la peinture, le théâtre, l’histoire, la danse.

La photographie en tant que pratique assidue est apparue au cours de mes études supérieures. Pendant mes années en classe préparatoire littéraire, j’ai découvert le possible entrelacement art pictural et littérature, puis photographie et littérature. J’étais déjà fascinée par la capacité du langage articulé à créer des images – et les querelles entre les mots et les images –, et je cherchais alors un mode d’expression visuel avec lequel expérimenter ces différents rapports entre les médiums. Une année, ma mère m’a offert un appareil photo reflex numérique avec lequel j’ai beaucoup pratiqué. À ce moment, j’étais entourée de plusieurs ami.e.s nourrissant une quête photographique. Dans cette dynamique, j’ai pu échanger, partager et apprendre. L’appareil était devenu un véritable enregistreur du quotidien. Au début, je ne faisais pas vraiment de paysage, j’étais plutôt attirée par le corps en mouvement, et mon environnement était urbain. Après avoir testé différentes optiques, j’ai réussi à trouver la bonne distance : celle que je voulais à l’égard de mon environnement. Le 35 mm m’a amené à un regard plus large. Et j’ai très vite eu envie d’évacuer toute trace de présence humaine dans mes photographies.

Conseils d’experts

J’ai un parcours d’autodidacte. J’ai appris sur le tas, une fois l’appareil entre les mains. J’ai feuilleté des livres sur la technique numérique à mes débuts et écumé les forums internet. Les ami.e.s pratiquant la photographie ont été important.e.s, car c’était un retour sur le vif de ce que je pouvais faire et tenter. Une véritable émulation. J’ai eu une accroche forte avec la photographie. C’était séduisant de rendre visible ce que je voyais, d’en donner un aperçu personnel et singulier. Voyant que ça me plaisait, j’ai eu envie d’avoir des conseils de personnes expertes. C’est alors que j’ai commencé à montrer mes travaux à deux personnes du milieu de la photo : Cyrille Weiner et Julien Pebrel, que je connaissais à peine. Leurs retours ont été encourageants. Les photographies sortaient de l’appareil photo et de mon ordinateur pour susciter des rencontres. D’ailleurs, c’est sur leurs conseils que je me suis intéressée à l’argentique. Et là, c’est encore une autre porte que j’ai ouverte ! J’ai touché à quelque chose qui ne me quitte pas depuis.

J’ai également suivi à deux reprises de courts ateliers pour affiner ma pratique et découvrir d’autres horizons. Je n’ai cessé de travailler mon écriture photographique. Présenter mon travail dans le cadre d’appels à projets pour des résidences ou des expositions est source de motivation. Ainsi, j’ai pu vivre des expériences artistiques et humaines enrichissantes qui participent à ma professionnalisation, car ce sont des apprentissages concrets. J’interviens aussi en milieu scolaire pour des ateliers de pratique : une façon d’explorer la photographie par le prisme de la transmission. Mon parcours est atypique et j’y attache une certaine valeur. Il s’est précisé avec le temps et traduit, je crois, la possibilité d’emprunter des chemins différents qui mènent à bon port, à condition de suivre ses aspirations.

© Myriem Karim / Fisheye

Littérature, édition et photographie

J’ai fait des rencontres inspirantes et déterminantes, comme ma professeure de Lettres modernes en classe prépa. Ses cours étaient vivants et riches, c’était pour moi une fenêtre ouverte sur le monde des arts. Je me souviens de discussions autour de ma volonté de travailler l’objet photographique sans abandonner le langage. Grâce à elle, j’ai découvert des pratiques comme celle de Denis Roche, entre littérature, édition et photographie. Une rencontre tellement passionnante que j’en ferai mon sujet de mémoire en Master. J’en parle, car c’est pour moi la possibilité de ne pas avoir à trancher entre deux disciplines et de les mener ensemble. De créer du mouvement. De créer dans la dynamique des mots et des photographies. Elle aura aussi cette phrase : « Je ne crois pas à la reconnaissance sociale par le diplôme, mais par ce que l’on fait. » Ce sont des mots marquants : je voulais faire de la photographie, mais je n’avais pas de diplôme. De quel droit ? En fait, si. Je pouvais. Et surtout, je devais ne pas m’encombrer d’hésitations néfastes et contre-productives.

Une fois diplômée de mon cursus universitaire “Lettres, arts et pensée contemporaine” à Paris Diderot, j’ai voulu prendre une distance avec l’école. Privilégier un apprentissage pragmatique et empirique. J’ai continué à montrer mon travail, à aller aux expos, aux rencontres publiques, et j’ai commencé à m’inscrire à des lectures de portfolio. C’était à Toulouse, dans le cadre du festival ManifestO. Au début, je n’avais aucune idée de ce que c’était. Je me souviens avoir collé dans un carnet des photos sous lesquelles étaient inscrites les légendes en lettrines. J’avais aussi apporté un livret réunissant quelques-unes de mes photos et de mes textes. À partir de ce moment, j’ai découvert des acteurs.trices du milieu photo aux aux parcours divers, comme Philippe Guionie avec qui je suis restée en contact.

Une des erreurs que j’ai commises, c’est de ne pas avoir su demander d’aide quand j’en avais besoin. L’erreur, c’est de rester seule parce qu’on pense qu’on est seule. Ce qui était faux dans mon cas, et il m’a suffi de dépasser la gêne du manque d’expérience pour le comprendre. Mais quoi qu’il arrive, j’ai appris de ces erreurs et j’ai surtout retenu qu’il ne fallait pas les reproduire.

© Myriem Karim / Fisheye

Pas besoin d’une école

Au cours de ma première année de Master, j’ai tenté le concours des Beaux-Arts de Lyon. J’avais des doutes quant au fait de rester dans un parcours très littéraire, avec un enseignement très vertical. En même temps, je ne savais pas vraiment si j’avais envie d’entrer dans une école que je percevais comme une institution cultivant l’entre-soi et formatant les individus. J’ai été reçue à l’écrit, mais j’ai décidé de ne pas me présenter à l’oral. Au fond, j’étais persuadée de ne pas avoir besoin de passer par une école pour faire ce que j’aimais. À cette période, j’ai contacté la photographe Clara Chichin, dont j’avais découvert un de ses livres autoédités pour discuter de son parcours. Je suivais le Master qu’elle avait terminé, et son expérience pouvait m’aider à voir quoi faire de ce diplôme. Et puis, cette phrase qui revient : « Je ne crois pas à la reconnaissance sociale par le diplôme, mais par ce que l’on fait. »Je pouvais ne pas avoir de diplôme d’école d’art et continuer à faire de la photographie.

Les réseaux sociaux m’ont permis d’entrer en contact avec des personnes que je n’avais pas la possibilité de rencontrer physiquement, donc en cela ils sont importants. Ils sont aussi un endroit virtuel où circulent beaucoup d’images, d’informations sur le milieu artistique et culturel, et qui permet de se tenir au fait de cette actualité. Pour ces raisons je suis présente sur plusieurs réseaux (Facebook, Instagram, Twitter), que j’alimente selon ma fantaisie ou pour partager un événement. Je regarde les comptes de photographes : Clara Chichin, Gabrielle Duplantier, Marine Lécuyer, Mathieu Van Assche, Simon Vansteenwinckel, Collective220. Mais aussi des plateformes comme Afrique in visu ou le collectif Fetart, des lieux comme Aspëkt Namur, Centre Photographique Marseille, Galerie 127, Le 18 à Marrakech, et des éditeurs comme Ediciones Anomalas, Lamaindonne, P.A.I.E.N, Preto books, Origini edizioni.

Mon parcours est à mon image. J’ai écouté mes envies – ce qui ne m’a pas forcément fait gagner du temps, mais je n’en ai pas perdu. Je crois au travail plus qu’au talent. J’ai un goût pour l’effort et le dépassement de soi. Aujourd’hui, je peux dire que je me sens libre dans ce que je fais, libre de me nourrir de différents champs de la connaissance, de développer des démarches interdisciplinaires, de ne pas appartenir à un milieu restreint en somme. Et, c’est cela que je souhaite cultiver dans un rapport de non-compétitivité aux autres et d’ouverture sur le monde. Si je devais conseiller quelqu’un, je lui dirais d’oser et d’y croire. De faire les choses, en les faisant bien, et d’aller au bout. Parce qu’il faut de l’audace et garder en même temps une certaine légèreté pour tenter et refuser d’abandonner. Et je lui dirais aussi qu’il faut être juste : dans ce que nous créons et ce que nous sommes.

© Myriem Karim / Fisheye

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