Dans le souvenir de bons moments de son adolescence, Eimear Lynch, aujourd’hui âgée de 29 ans, a imaginé Girls’ Night. Au fil des pages se découvrent des groupes de jeunes filles qui se préparent avant d’aller dans des boîtes de nuit de leur âge. Ce rituel à la portée symbolique signe également les prémices de leur indépendance.
« La première chose que mes amies et moi faisons, c’est de consulter la page Instagram de la discothèque pour voir quand la prochaine soirée aura lieu, c’est habituellement pendant les vacances scolaires comme celles de Pâques qui approchent. Nous discutons ensuite des robes que nous voulons porter et nous voyons si quelqu’un a cette robe qu’il pourrait prêter. Si personne ne l’a, vous en commandez une similaire sur Shein pour un prix très bas. Elles arrivent généralement à mi-cuisses, ou sont plus courtes, et sont de couleurs très vives », résume une certaine Marley Nolan, âgée de 14 ans. Ces mots, consignés dans une note manuscrite, figurent au début de Girls’ Night et dévoilent la ritualisation de ces premières soirées entre filles. Celles-ci n’ont pas tant changé depuis qu’Eimear Lynch, photographe irlandaise spécialisée dans les documentaires sociaux à l’origine de l’ouvrage, a passé l’âge de les fréquenter. Seulement, à l’époque les tenues provenaient de plateformes multimarques comme ASOS, et Tiktok n’existait pas encore. Se filmer en train de s’amuser ou de le prétendre n’était pas une nécessité.
Quelle que soit leur génération, pour beaucoup, ces soirées s’imposent comme une manière de façonner leur identité. Il s’agit de premiers pas vers l’indépendance, d’un espace où il est possible de rencontrer des personnes issues de différents établissements scolaires, de différents milieux. « Elles ont été très formatrices. C’était notre premier aperçu de ce qu’est l’âge adulte », assure Eimear Lynch. Les filles qu’elle a photographiées, après avoir passé des mois à convaincre les parents et les propriétaires de ces lieux du bien-fondé de sa démarche, en témoignent tout autant. Celles-ci viennent des quatre coins de l’Irlande et lui rappellent sa propre jeunesse. D’ailleurs, lorsque nous lui demandons quels sont les trois éléments qui indiquent qu’une de ces fêtes a été un succès, elle énumère avec entrain : « Il faut 1. Avoir embrassé un garçon. 2. Avoir obtenu une belle photo de soi à partager sur Facebook pour espérer attirer l’attention d’un garçon lors de la prochaine soirée. 3. Ne pas s’être fait prendre par ses parents en train de boire. »
La transition de l’enfance à l’adolescence
Néanmoins, ces sorties nocturnes ne gravitent pas uniquement autour de la gent masculine, qui ne se soucie guère du maquillage ou de la coiffure choisis pour l’occasion, nous rappelle l’autrice. Ce parcours initiatique est également marqué par l’acquisition de nouvelles compétences en matière de mise en beauté, apprises dans les magazines, que l’on souhaite désormais montrer à tout le monde. L’envie de se distinguer, notamment en affirmant son propre style, émerge peu à peu. « Une image représente une fille dans une discothèque et c’est la seule personne qui ne porte pas la même robe que les autres. Elle a les cheveux noirs, un T-shirt ample et des gants noirs en résille. Je suis vraiment admirative de l’assurance dont elle a fait preuve pour être différente à un si jeune âge, je crois qu’elle avait 13 ans », se souvient Eimear Lynch en guise d’exemple.
« J’adorais aller en boîte quand j’étais adolescente. J’étais une enfant assez timide, sauf quand j’étais avec mes amies. Je me sentais toujours plus confiante lorsque j’étais avec elles. Dans ce livre, j’ai voulu montrer le pouvoir que l’on tire de ses amitiés, mais je souhaitais aussi souligner les insécurités et la solitude que j’ai ressenties en grandissant, tandis que j’essayais de naviguer dans le monde », nous confie-t-elle. De fait, les longues heures passées à se préparer chez l’une des filles, après l’école, sont souvent propices aux discussions à cœur ouvert. Alors que l’on se projette avec enthousiasme dans le futur, les premiers tracas d’adulte apparaissent. « La transition de l’enfance à l’adolescence est si rapide que nous sommes soudainement complètement absorbées par notre apparence et les premiers signes de féminité. […] Je me souviens de l’excitation que j’éprouvais à l’idée de pouvoir enfin participer aux rituels de la culture de la beauté. C’était un moment privilégié où les aspects positifs de la féminité n’étaient pas entachés par le poids des défis imminents », poursuit-elle. Les clichés oscillent ainsi entre instants joyeux et d’inquiétude et suggèrent, en somme, toute l’intensité de ce chapitre de l’existence.