À la fois distante et profondément engagée, Ekaterina Perfilieva, artiste multidisciplinaire, interroge une contemporanéité traversée par le vide, la solitude, l’aliénation sociale et la perte d’intimité.
Si l’on devait résumer l’univers d’Ekaterina Perfilieva, on dirait qu’il relève d’une recherche autour de l’étrangeté du réel. Depuis l’adolescence, l’artiste observe les relations humaines, les émotions et surtout la manière dont les individus habitent les espaces – qu’ils soient urbains ou naturels. Comment les présences humaines s’y inscrivent-elles et les modifient-elles ?
Ekaterina Perfilieva photographie en marchant, sans musique, attentive aux détails et aux récits qu’elle peut entendre. Elle revendique un lien actif avec son environnement, qu’elle considère comme co-auteur de ses images. Elle ne travaille pas seule, bien au contraire : certains de ses sujets deviennent des guides, comme son amie Olga, au cœur de Nocturnal Animals, consacrée à la part d’ombre féminine et aux émotions socialement refoulées. « Chaque femme porte en elle à la fois la sorcière et l’ermite », affirme-t-elle. Dans cette série, des figures énigmatiques, parfois floues, se tortillent autour d’arbres dans la nuit, comme des araignées ou des spectres.
Face à la modernité
Avec Façade, elle explore la ville-musée de Taroussa, ancien lieu d’exil d’intellectuels soviétiques aujourd’hui instrumentalisé à des fins nationalistes. Elle y cherche ce qui résiste à l’image officielle et idéologique, soit des signes du quotidien et de la vie réelle. « Je voulais trouver où subsiste encore quelque chose de vrai et de sincère, créé par les citoyen·nes elleux-mêmes, et observer comment cela s’entremêle avec les couches historiques et propagandistes », explique-t-elle. Dans La Lumière vive de la déception, la photographe se frotte davantage à la mise en scène quasi abstraite de la fragmentation et du détachement entraînés par l’époque du « capitalisme émotionnel », d’après l’expression de la sociologue Eva Illouz. Elle sonde une intimité mécanisée par les applications de rencontres, la pornographie en ligne ou les produits sexuels, qui offrent une illusion de sécurité affective alors même qu’ils sont à l’origine d’un appauvrissement des liens humains. Ni froide, ni sentimentale, ce qu’elle vise en toute chose, c’est d’abord « l’émotionnel, le sale, le cru et le sincère », selon ses mots. Toujours avec une grande lucidité.