Au Mac Val, à Vitry-sur-Seine (94), l’exposition collective Faits divers – Une hypothèse en 26 lettres, 5 équations et aucune réponse propose une immersion nuancée dans l’illustration du crime, son impactante réalité et sa fictionnalisation.
« Le fait divers comme catégorie journalistique a une emprise sur les pratiques artistiques. Les magazines portent toute une culture visuelle de ces récits. Les événements relatés sont parfois fictifs, le spectre de la véracité est large. Ces paramètres nous ont donné beaucoup de liberté pour produire des zones d’incertitude. Les faits présentés sont-ils réels ? Il vous faut avoir une posture d’enquêteur·ice pour le savoir. » C’est en ces mots que Vincent Lavoie, historien de la photographie et co-commissaire, introduit l’exposition du Mac Val (musée d’Art contemporain du Val-de-Marne). Sur les cimaises plongées dans la pénombre du musée, installations, tableaux, images, vidéos et objets se révèlent comme autant d’indices nous invitant à élucider le mystère. Une série de cinq « équations », pensées de la plus littérale (l’univers judiciaire et l’enquête) à la plus complexe (le trouble qui règne, l’absence de preuve ou la certitude). « Nous avons eu l’idée d’un abécédaire “cassé” pour organiser les œuvres. Et si le crime intéresse énormément les artistes et curateur·ices, peu d’expositions ont ouvert la thématique à d’autres médiums que la photographie. Nous avons donc souhaité ici une répartition égale des arts », précise Nicolas Surlapierre, directeur du Mac Val et co-commissaire.
Quatre-vingts auteur·ices et plus d’une centaine d’œuvres surgissent ainsi de l’ombre, formant cinq blocs d’informations d’où émergent autant de preuves potentielles que de fausses pistes : « Au nom de la loi » (Équation à une inconnue), « Scénario catastrophe » (deux), « Faire violence » (trois), « Ouvrir l’œil » (quatre) et « L’ombre d’un doute » (cinq). En leur sein, cinq ou six lettres de l’alphabet nous familiarisent avec le champ lexical du fait divers. Le F devient celui du féminicide, le K celui des kidnappings, le M représente les médias, et le V nous rappelle au vraisemblable. Un vaste horizon soulignant l’ambition des commissaires. « [Roland Barthes] place une frontière entre l’information et le fait divers, qui, d’après lui, ne peut pas être de nature politique », explique Nicolas Surlapierre, avant d’ajouter : « Je pense qu’il y a une façon fait-diversière de traiter la politique. Tout sujet peut, en fait, relever du fait divers selon la manière dont il est traité. »
Une énigme à résoudre
Au sein des espaces naît alors une « langue » du fait divers, aux nuances subtiles. Loin de tout sensationnalisme, les commissaires entendent la cerner dans sa globalité, faire la part belle à l’indécision, aux limites de ces histoires qui nous hantent – à ce qui reste, une fois le récit découvert. En témoigne par exemple la vidéo de Pascal Bernier, Flowers Serial Killer. Employant différents outils (un marteau, une enclume, un verre d’eau), l’artiste réimagine la définition d’une « nature morte » en malmenant des fleurs comme des tueur·ses tortureraient leurs victimes. Un travail d’une violence incroyable, parvenant à faire comprendre sans rien montrer. Tout comme les Preuves d’amour de Camille Gharbi mettant en scène les objets du quotidien utilisés lors de féminicides. Angela Strassheim s’approprie quant à elle les techniques médico-légales pour révéler, dans des jets abstraits, les traces de sang essuyées à la suite d’actes criminels, faisant de ces lieux sordides des tableaux à l’horreur esthétisée. En parallèle, Yann Toma développe, avec Crimes sur commande, une théâtralité du crime : le photographe propose à ses modèles de mimer une mort violente qu’il fige dans un noir et blanc dramatique au cadre maîtrisé.
Cet article est à retrouver dans son intégralité dans Fisheye #69.