Le Moulin Blanchard rappelle que l’art peut encore être une arme intime et révoltée. Rien d’exhaustif : soixante ans après la Beat Generation, marcher libre reste un geste politique. Un week-end dans le Perche suffit pour s’en rendre compte. Découvrez le Festival jusqu’au 13 juillet 2025.
Un vent neuf agite le Moulin Blanchard. Porté par Frédérique Founès, nouvelle directrice artistique, et épaulé par Patrick Bard, photographe, écrivain et reporter, le festival déborde de son site d’origine et invite, dans huit lieux, le public à investir la région du Perche-en-Nocé. Le thème 2025, « Liberté », n’est pas un simple slogan : c’est un socle hérité de la Beat Generation (mouvement littéraire et culturel né aux États-Unis dans les années 1950, ndlr). Le fil rouge est limpide : retour à l’underground et à l’héritage. Pas de posture, juste une ligne claire : errance, lyrisme brute, image comme manifeste. Photographie, film, peinture, sculpture, poésie, musiques… Chaque événement rappelle, parfois crûment, que l’art demeure un contre-pouvoir indispensable. Entre les projections de Harold Chapman sur le Beat Hotel, les captations rugueuses du poète Allen Ginsberg réalisées par François Pain, les peintures électriques de Thierry Alonso Gravleur et d’autres pépites disséminées tout au long du festival, le mieux est encore d’aller voir.
Redécouverte majeure : Le Voyage mexicain de Bernard Plossu
Depuis 1979, Le Voyage mexicain de Bernard Plossu s’impose comme une bible visuelle de l’errance. Dans la poussière des routes mexicaines, ce carnet de route rejette les mises en scène et capte l’instant avec une liberté totale. Plus proche de Jack Kerouac que d’un guide touristique, il prolonge un élan d’insoumission et de poésie brute. À propos de Le Voyage mexicain, Denis Roche écrivait : « C’est un témoignage optimiste de la Beat Generation, une rupture dans l’histoire de la photographie avec des cadrages libres, sans folklore, un souffle brut de liberté vécue. » Quarante-cinq ans plus tard, ces images tiennent toujours la route, une liberté crue qui échappe encore à nos algorithmes.
Dans la salle voisine, Marion Scemama rouvre l’underground new-yorkais des années 1980 avec Road Trip et Self-Portrait in 23 Rounds. Friches, nuits, corps farouches : ses photos dialoguent avec un film coréalisé avec François Pain, trente minutes intenses pour raconter, sans pathos, les derniers mois de David Wojnarowicz, entre colère et tendresse. Présent·es au vernissage, les deux artistes incarnent cette fidélité : filmer, photographier, exposer leur carnet de route. Pour que leur histoire, et celle de celles et ceux qu’ils ont aimé·es, reste à jamais dans l’Histoire. Deux récits à des milliers de kilomètres, mais tendus vers la même nécessité : témoigner d’un monde en marge, et sauver, par l’image, ce qui mérite de ne pas s’effacer.
Les projections prolongent ces récits en marge
Fin des années 1970, Lower East Side. Pour sa série culte Rimbaud in New York, David Wojnarowicz photographie ses ami·es déambulant dans la ville avec un masque d’Arthur Rimbaud. Le poète devient un double, un avatar queer dans un Manhattan post-Vietnam. Dans la salle obscure du Moulin, les images défilent en boucle : slideshow hypnotique, geste simple et radical. Endosser un autre visage pour parler de soi, protester contre la violence sociale et l’hypocrisie morale. Le festival en montre la version brute, fidèle à l’esprit de David Wojnarowicz.
Enfin, lauréate de l’année, Estelle Lagarde passera tout l’été à faire dialoguer les générations du Perche avec Mémoire vivante : les aîné·es racontent leurs lieux de mémoire, les enfants les rejouent devant l’objectif. Ateliers, prises de vue, mises en scène collectives… Un projet qui tisse présent et passé, avant d’être dévoilé en septembre. Ce travail s’inscrit dans la Résidence Capsule : chaque année, le festival offre carte blanche à un·e artiste pour créer in situ avec les habitant·es, depuis la recherche jusqu’à la restitution publique qui se tiendra début septembre dans la grange du Moulin Blanchard.