Paru aux éditions PRIMITIVE, Lavori in corso de Florence Cats et Joseph Charroy propose un voyage sensoriel dans les rues de Rome. Fruit d’une résidence à l’Academia Belgica, l’ouvrage conjugue les pratiques pour saisir la complexité de la ville éternelle.
De prime abord, Lavori in corso est un objet quelque peu déroutant, presque exigeant. Très épuré dans sa conception, dénué de tout texte, offrant des supports multiples, en saisir l’essence n’est pas tout de suite évident. Le livre de Florence Cats et Joseph Charroy mérite que le lecteur prenne son temps et accepte de se perdre dans ses pages sans idée préconçue. L’errance et le temps, ce qui forme la trace, sont au cœur de cet ouvrage réalisé dans les rues de la capitale italienne. En alternant photographie en couleur et en noir et blanc, portraits et paysages minimalistes, moments de vie, dessins, morceaux de ville trouvés, papiers déchirés…Les artistes proposent un portrait original de Rome.
À l’origine de Lavori in corso, il y a tout d’abord la rencontre, en 2010, entre Florence Cats et Joseph Charroy. C’était à l’occasion d’un concert. Lui venait de France, elle vivait en nomade dans un camion. Lui photographie, elle écrit et dessine. Rapidement, ils entreprennent leur premier voyage ensemble. L’idée de travailler tous les deux sur des projets communs germe. « Un jour, Florence me propose de la suivre en Bretagne et dans le sud de la France, se souvient Joseph Charroy. De ce road trip et de notre rencontre avec David Fouré, le responsable des éditions Lamaindonne, est né notre premier livre, Chats lunatiques, en 2011. »
Le passage du temps et des êtres
Après avoir sillonné les routes, et sur les conseils d’une de leurs connaissances, le couple décide de présenter un dossier afin d’entrer en résidence à l’Academia Belgica. Fondée en 1939, cette institution culturelle belge a pour mission d’accueillir des chercheurs et des artistes afin qu’ils développent un projet personnel. « Ce mélange des genres et des spécialités nous a bien aidé, confie Florence Cats. Il y avait des archéologues et des personnes qui connaissaient bien la ville. Ils nous indiquaient des endroits où nous ne serions pas allés si nous n’avions pas su qu’ils existaient. » Une fois la bourse attribuée aux arts visuels remportée, les deux artistes prennent le chemin de l’Italie.
Pendant ce séjour de trois mois, ils vont essayer de faire évoluer leurs domaines respectifs. Ils ont alors en tête une idée quelque peu éloignée de ce que sera Lavori in corso. « Au départ, nous souhaitions réaliser un livre sur les graffitis anciens qui recouvrent les murs de Rome, expliquent-ils. Il y avait déjà cette idée de la trace et du temps. Ils agissent comme des couches successives qui finissent par s’imbriquer. » Petit à petit, au gré de leurs flâneries dans les rues de la capitale de la grosse botte, ils réalisent que tout ici n’est que le fruit de la superposition du passage du temps et des êtres. Mais contrairement à certains artistes qui rejoignent l’Academia Belgica pour profiter de ses ateliers et infrastructures, eux préfèrent prendre l’air.
Itinéraires bis
« Déjà lorsque je vivais en camion, mon atelier était dans la rue, explique Florence Cats. Nous avons donc ouvert au maximum notre dossier pour pouvoir être en plein air, et pas dans la bibliothèque ou les ateliers. Marcher, se perdre dans la ville et prendre des images, c’était important pour nous. Et Rome est une cité idéale pour ça. » Ce qui compte pour le couple, c’est de sortir du quotidien, de la routine et de construire par strates leur histoire personnelle avec la ville éternelle. Aux artères touristiques, ils préfèrent les itinéraires bis. Au fil de ces promenades romaines, ils glanent ici et là des images, des vestiges du présent, comme du passé. Ils les utilisent tels quels ou les détournent par le traitement et par le trait.
Dans ses photographies, Joseph Charroy combine des cadres très serrés, capture des bribes de tableaux anciens, pratique la street photography, la solarisation… Il utilise parfois des pellicules périmées (« marquées par le temps »). Quant à Florence Cats, elle se saisit de matériaux bruts, qu’elle laisse en l’état ou remodèle, elle dessine et colorie des tickets de caisse usagés, des serviettes parfois trouvées au sol (toujours signes du temps), emprunte à Rome ce que la Capitale veut bien lui donner. Dans ces entrelacs, les deux artistes se racontent autant qu’ils révèlent la ville.
Objet inclassable
La conception du livre, réalisée par Joseph Charroy, également fondateur des éditions PRIMITIVE qui publient l’ouvrage, s’en ressent. « L’agencement des images m’a pris beaucoup de temps, analyse-t-il. Plus que de présenter le travail de l’un ou l’autre, j’ai souhaité créer des passerelles. Je voulais qu’il y ait des tensions et des moments plus contemplatifs. Je ne l’ai pas pensé comme un simple mood-book.» Lavori in corso devient un objet inclassable. Une démarche instinctive et sensorielle volontaire de son concepteur.
« L’intention n’était pas que nous nous adressions simplement aux spécialistes de la photographie ou du livre d’art, affirme ce dernier. Je voulais que ce livre ne puisse pas être clairement catégorisé. Il pourrait aussi bien être rangé avec des livres photo ou de dessins, voire des choses plus abstraites. Il fallait décloisonner.» Au final, Lavori in corso (titre emprunté dans une des images) traduit bien l’expression de ses auteurs. Au fil des pages, nous les suivons dans leurs pérégrinations, et nous sommes projetés dans une atmosphère de liberté. Une forme de rappel à la vie qui ne se résume pas au présent.
Lavori in corso, Éditions PRIMITIVE, 35 €, 200p.
© Florence Cats et Joseph Charroy