Chaque été, Frédéric Schmiliver s’immerge dans l’atmosphère de Kolovare, une plage en Croatie, et documente ce lieu hors du temps. Témoin des péripéties d’un club de natation qui l’occupe, il porte sur cette jeunesse un regard malicieux, plein de complicité et de mélancolie.
Né en 1980 à Bruxelles d’un père belge et d’une mère française, Frédéric Schmiliver s’est initialement tourné vers la photographie de rue, qu’il a pratiqué durant quinze ans. C’est une intuition sans faille, guidée par son amour d’un sujet, d’un endroit ou d’une idée, qui l’a conduit vers cette nouvelle aventure photographique. Kolovare est un lieu égaré, hors de son temps – « qui ne devrait plus exister », affirme-t-il. Depuis sa rencontre fortuite avec la région, y retourner est devenu un rituel : chaque été depuis trois ans, le photographe replonge dans l’ambiance de la plage et s’enivre de sa propre adolescence regrettée.
Marqué par les thématiques de la solitude, du manque et de l’absence, le travail de Frédéric Schmiliver s’est orienté vers une communauté de jeunes Croates. Un écho important à ses propres souvenirs d’adolescent, emplis d’une nostalgie puissante, d’étés entiers passés sur la Côte d’Azur avec sa bande d’ami·es, puisqu’à nouveau, il s’agit de mettre tout en œuvre pour s’intégrer au groupe. « Avec mes rudiments de croate je peux communiquer avec les enfants et les adolescent·es, ce qui est important, car il faut savoir que la photographie est très mal perçue là-bas. L’appareil photo provoque la suspicion, sans doute en raison du passé socialiste et communiste du pays. C’est parfois tendu. Mon immersion est un processus graduel : à chaque séjour, je dois me remettre dans le bain, me faire accepter, montrer patte blanche », confie-t-il. Un processus qui fonctionne à merveille : à travers ces photographies, on imagine les extases temporaires, les fous rires, le cœur prêt à éclater.
Jeunesse rêvée
Comme point de départ décisif de sa série, l’auteur évoque avant toute chose « l’énergie et le bouillonnement incessant autour du tremplin et de la piscine d’eau de mer, la plastique des corps et les émotions. » Ses héros ? Des jeunes dont les silhouettes baignées de lumière semblent se jeter vers le large comme ils et elles s’élancent dans la vie : avec fureur de vivre et sentiment de toute-puissance. De son immersion naissent des photographies à fleur de peau, où son regard tout en pudeur s’attarde sur des détails qui disent à eux seuls les sensations si particulières propres à la saison estivale. Une glace tombée sur la tête, la paresse au soleil, le plongeoir surplombant la plage – passage obligatoire pour tous·tes les adolescent·es qu’observent, hagards, les enfants…
Frédéric Schmiliver a bien compris qu’il avait tout à apprendre d’elleux. Se lancer dans Kolovare, c’est retourner à la grande école, celle où l’on porte sur toute chose un œil vif et nouveau, où l’on découvre les physiques des autres, où l’on vit ses premiers émois, où l’on s’initie à la transgression… Dans une image, on aperçoit quatre garçons couchés sur le dernier étage du tremplin qui dialoguent avec le reste du groupe, situé à un étage inférieur, invisibles, depuis l’angle adopté par l’auteur. « C’est à qui va faire le saut le plus remarquable. La figure que leur camarade tente de réaliser est si audacieuse que l’un des enfants agrippe la peau du dos de son voisin afin de libérer sa tension. J’aime le fait qu’on ne voit pas ce saut, et que l’on ne puisse que l’imaginer à travers le geste de cet enfant », confie-t-il. À travers ce projet encore à l’état d’inachèvement – qui ne trouvera sa conclusion que lorsque son auteur en sera lassé –, Frédéric Schmiliver livre un tableau en évolution perpétuelle de la jeunesse de Kolovare. Et semble arrêter le temps pour quelques étés.
© Frédéric Schmiliver