Avec Dark Light, Hendrik Paul signe un livre de photographie argentique en noir et blanc, publié chez Datz Press, qui explore la nuit, le rivage, le deuil et la beauté dans une langue visuelle lente et incarnée.
À travers des images prises sur la côte nord de la Californie, souvent la nuit ou à l’heure où le jour s’efface, Hendrik Paul explore une manière d’être au monde où voir n’est qu’une étape. Car au-delà, il y a la sensation qui, au seuil de la mer, se fait ressentir dans sa plus puissante ampleur. « Quand je suis ici, ce n’est pas juste pour prendre des photos, mais pour écouter, raconte-t-il dans la vidéo qu’il réalise pour accompagner la sortie de son livre Dark Light. L’océan parle par vagues et par murmures, et transporte des histoires des profondeurs jusqu’au ciel. »
Ce lien intense avec l’océan prend une dimension nouvelle après un bouleversement personnel. Dans les mois qui suivent, il déambule sur les falaises, la nuit. Il photographie en film noir et blanc, souvent avec des temps d’exposition longs, parfois avec une chambre 4×5 ou un moyen format. Dans ces moments, tous ces sentiments mêlés – chagrin, confusion, émerveillement, épuisement – se projettent sur le paysage qui donne forme à l’indicible. « De cette manière, les images sont devenues des constellations émotionnelles », explique-t-il. Loin du spectaculaire, Dark Light est né d’une nécessité. « Je n’avais pas l’intention de faire un livre, déclare-t-il. J’avais juste besoin d’être près de quelque chose de plus grand que moi. »
L’art de l’apparition
Très attentif au geste photographique, il développe lui-même chacun de ses tirages pour rester au plus près de l’image, l’accompagner jusqu’à son apparition. Et cela se ressent : ses œuvres portent une texture presque palpable. On croit sentir le sel, la nuit, la buée sur la peau. « Je veux qu’elles se ressentent autant qu’elles se voient », confie-t-il. Le grain du film, les flous, les noirs profonds : tout concourt à cette tentative d’incarner l’invisible. Dans le sillage de photographes comme Daido Moriyama ou Gabrielle Duplantier, dont il admire la sincérité et le style rugueux, Hendrik Paul est profondément attiré par cet espace liminal où la clarté cède la place au mystère, et où la forme commence à se dissoudre dans le ressenti. « Cet entre-deux entre la peur et la paix, entre la joie et une rage silencieuse », précise-t-il.
Ces images, il ne les décrit pas comme des créations, mais comme des fragments reçus. « Parfois, j’ai l’impression qu’elles étaient déjà écrites dans les étoiles et attendaient juste le bon moment, les émotions justes pour apparaître », raconte-t-il. Le projet devient un livre sous l’impulsion de Datz Press. Hendrik Paul connaissait Sangyon Joo depuis leurs études à San Francisco. Leur première collaboration avait donné Elementum, un livre-méditation sur les éléments naturels. Avec Dark Light, ils approfondissent cette démarche : « L’équipe de Datz Press a permis au travail de respirer. De rester intime, mais vaste », assure-t-il. Aujourd’hui, il poursuit le travail autrement. Il imprime des fragments d’images sur des objets trouvés – bois flotté, pierres…
First Edition, 300 copies
227 pages
95 $
Un lien ancien avec la nature
Hendrik Paul a grandi à Mill Valley, en Californie, dans une maison nichée sous des arbres géants. « La nature a été mon premier miroir, mon premier compagnon », confie-t-il. D’après lui, ce sont le rythme du vent dans les branches, le chuchotement de la lumière matinale et l’appel du Pacifique qui ont tous façonné sa manière sensible de se mouvoir et de faire de l’art. Toujours installé dans le nord de la Californie, entre la brume des côtes et les forêts de séquoias, il pratique aujourd’hui la photo argentique comme un art de l’écoute. Nature, spiritualité, photographie : ces trois voies se croisent dans son travail, sans qu’aucun ne prenne jamais le dessus.
Dans le silence et l’obscurité, il cherche en quelque sorte une forme de vérité nue. Il dit avoir reçu de ses origines allemandes un lien profond avec la terre, la forêt, la lenteur. Dans les paysages nocturnes, il reconnaît des états intérieurs. « Le brouillard recouvrait tout. Et soudain, j’ai compris que c’était exactement comme cela que je me sentais. » Il poursuit même : « Il y a aussi quelque chose de cosmique dans les paysages de ce projet. Pas “cosmique” dans un sens grandiloquent, mais dans le fait que tout – les marées, l’obscurité, la lumière stellaire – participait à un rythme plus vaste, que je pouvais sentir dans mon propre corps. Plus je regardais dehors, plus je sentais mon monde intérieur se réorganiser. »
Dark Light n’est pas un livre sur la mer, mais sur ce qui naît quand on s’y confronte : le deuil, l’amour, la foi et tous ces états indéfinissables que seule la photographie, parfois, sait exprimer. « J’espère que ces images ouvrent un espace pour ces parties de nous-mêmes plus discrètes, celles qui ne sont pas toujours faciles à nommer. La douleur et l’émerveillement. La désorientation et le calme. L’éclat de lumière qui persiste, même au cœur de la nuit. Au fond, nous portons tous et toutes une nuit intérieure. Et parfois, il suffit de savoir que nous ne l’arpentons pas seul·es », conclut-il magnifiquement.