Ilanit Illouz et Laure Winants, deux artistes représentées par la Fisheye Gallery, développent un travail profondément ancré dans la matérialité du monde qui nous entoure, afin d’en interroger les mutations. Avec à la clé deux solo shows exposés respectivement à Paris Photo et au salon Approche, du 9 au 12 novembre.
Déjà présentes à la Fisheye Gallery au printemps dernier lors de l’exposition Les Alchimistes du sensible, Ilanit Illouz et Laure Winants poursuivent leurs explorations photographiques en croisant approches théorique, géographique et plastique afin de développer une réflexion sur l’histoire sociale, politique et économique. Les questions liées à la trace et à la disparition sont au cœur de leurs recherches, qui questionnent le changement climatique et ses multiples conséquences. À l’instar de nombreux·ses artistes qui font voler en éclats les frontières entre les disciplines, Ilanit Illouz et Laure Winants amènent la photographie sur de nouveaux territoires. Elles malaxent des matériaux qu’elles associent afin d’exprimer les multiples préoccupations environnementales qui nous traversent.
Fantasmagorie minérale
Ilanit Illouz a réalisé sa série Dolines en se rendant dans le désert de Judée et sur les rives de la mer Morte, un territoire façonné par une histoire millénaire, situé dans une zone de conflits politiques et économiques. Cet espace est le théâtre d’une catastrophe écologique majeure provoquée par les infrastructures (barrage, grand canal) construites par les deux États riverains (Israël et Jordanie) pour fertiliser le désert. « Ce grand lac salé a perdu en cinquante ans un tiers de sa superficie et se trouve désormais menacé de disparition, explique la commissaire d’exposition et critique d’art Muriel Enjalran. La sécheresse a eu pour effet de multiplier les cratères qui trouent de toute part un terrain truffé de poches de sel. Ces dolines, parfois de plusieurs kilomètres de diamètre, sont le symptôme le plus évident du processus d’assèchement. » Ilanit Illouz utilise le sel ramassé sur place pour « fossiliser » ses tirages, en leur conférant une dimension sculpturale. « Ses images mettent en lumière la fantasmagorie minérale des concrétions salines et des agrégats pierreux apparus dans un paysage quasi lunaire redessiné par l’activité humaine, analyse Muriel Enjalran. Leur beauté formelle proche de l’abstraction ne fait pas oublier que les plus graves menaces pèsent sur un écosystème unique au monde. » Dolines sera présentée dans le secteur Curiosa de Paris Photo, et fera partie du parcours Elles × Paris Photo, soutenu par le programme Women In Motion initié par Kering.
Régénérer nos imaginaires
Laure Winants, pour sa nouvelle série Sensing Landscape, s’est embarquée au sein d’une expédition polaire au cœur de la banquise arctique durant quatre mois, afin de mieux comprendre l’évolution de ce territoire et d’en rendre compte à sa manière. Ses expérimentations sont nombreuses : capter la composition de la lumière, les propriétés optiques de la glace, les inflexions acoustiques des icebergs, examiner les impacts du changement climatique sur les mouvements de masse du pôle Nord à l’aide d’imagerie à distance. Les enseignements fournis par les prélèvements issus de permafrost, de glaciers ou de glace de mer nous projettent au-delà de notre humanité. « Les données de ces capsules temporelles nous éclairent sur un passé de 300 millions d’années, mais dessinent également de nouveaux récits et régénèrent nos imaginaires », argumente l’artiste. C’est la première fois que les épreuves de cette série construite avec des photogrammes jouant avec la lumière polarisée passant à travers la glace sont présentées. Les images-objets aux couleurs énigmatiques et à la présence magnétique se donnent comme des blocs de matière à réflexion. Laure Winants fera également partie de l’exposition Épreuves de la matière. La photographie contemporaine et ses métamorphoses, présentée à la BnF François-Mitterrand jusqu’au 4 février prochain. On la retrouvera encore au programme de la Biennale de l’image tangible, à la galerie Nocte, à Paris, du 10 novembre au 9 décembre.