Ana Zulma est une artiste multidisciplinaire qui vit et travaille en Côte d’Ivoire. La galeriste Simone Guirandou-N’diaye, fondatrice de la LouiSimone Gallery à Abidjan, présentait son travail lors de la Foire 1-54 à Marrakech. La série La Grande Histoire prend naissance dans les bas-fonds d’Abidjan, au-dessous des beaux quartiers. Ana Zulma intervient sur ses photos, notamment en les grattant, et oscille ainsi à la frontière entre dessin et photographie. Camille Moulonguet l’a rencontrée.
Cette série est-elle une nouvelle manière de travailler ?
J’ai toujours beaucoup travaillé avec des objets, je les forçais, je les scotchais, je les assemblais. J’ai commencé en tant qu’artiste à faire de la performance avec un personnage qui s’appelle Zulma. Zulma est une figure totalitaire qui veut affirmer ses dictats sur le monde. Jusqu’à présent, je documentais plutôt les lieux de consommation. Et dans ce projet, mon personnage d’Ana est plutôt dans les quartiers populaires d’Abidjan. Je me situe aujourd’hui dans une approche sociale, c’est l’antithèse de mon personnage Zulma.
De quoi parle cette Grande Histoire ?
En général, mes thèmes de travail gravitent autour du rapport aux autres, les liens et la valorisation de soi à travers les autres. Il y a une dimension psychologique dans mon travail, qui aborde la manière dont mes propres brèches peuvent, petit à petit, se combler en rencontrant les autres. Je pressens et je revendique un réveil lumineux de l’homme dans une pensée positive assez utopique du monde. C’est pour cela que je gratte avec hargne mes photographies. À l’intérieur de la Grande Histoire, je parle d’une petite histoire, la petite histoire de gens qui ont été chassés de ce quartier où certains habitaient depuis 1958. Je suis allée les voir, j’ai enquêté, je les ai interviewés pendant à peu près trois-quatre ans. J’ai aussi assisté à leur départ. Cette Grande Histoire raconte leur vie avec de la photographie grattée.
Qu’est-ce qui vous a le plus marqué lors de ce travail ?
J’ai fait la rencontre d’un homme qui s’appelle André Illy, dont l’histoire est assez emblématique de ceux vivant au sein de ce quartier des bas-fonds. Il est présent plusieurs fois dans La Grande Histoire. Pour moi, il en est le héros. Son histoire renvoie à l’immigration burkinaise en Côte d’Ivoire. Un récit où les enfants de 14 ou 15 ans doivent quitter leur pays pour aller chercher une vie meilleure et aider leurs proches financièrement. C’est une aventure qu’ils vivent seuls. Cela renvoie aussi aux enfants contraints de se mettre devant leur maison pour la protéger de la destruction. En grattant la photo, je cherche à les protéger, à leur donner de la force. « On reste là, ils ne viendront pas gifler nos maisons ! » m’ont-ils dit , alors je les ai représentés en guerriers.
Pourquoi avoir encerclé ces images ?
Cela fait partie de l’œuvre. Je ne vois pas cela comme un rajout, mais plutôt comme un refuge. L’idée est d’installer les personnes dans une zone de confort, un lieu où le mal ne peut plus les atteindre. Cette forme ronde qui prend beaucoup de place demande aussi du temps. Il faut s’approcher de mon travail pour regarder, comme il faut s’approcher des gens pour les connaître, pour retirer les masques. J’ai travaillé avec Jean Servais Somian, qui est un grand artiste designer ivoirien.
© Ana Zulma, Courtesy Galerie LouiSimone Guirandou