La photographe écossaise Kirsty Mackay s’attache à donner à voir celles et ceux que l’on ne voit pas, que la politique, la presse et l’économie délaissent. Sélectionné par le jury du Prix Virginia en 2022, le travail de Mackay a saisi les esprits par sa force documentaire, mais aussi par son aura poétique et profondément humain. Si elle reprend certains codes de la photographie sociale, cette reporter originaire de Glasgow fuit les représentations dénigrantes et voyeuristes de la misère humaine, en abordant la pauvreté comme un fait complexe, dépendant du tissu culturel dans lequel il s’insère. Face à son objectif, les « invisibles » conquièrent un droit de parole et, avec franchise, exposent leur réalité.
Pour construire Testimonies on Mental Health, la photographe est partie rencontrer des personnes souffrant d’invalidité mentale. En résulte une série relatant leur quotidien et leurs défis, ainsi que l’invisibilité et les discriminations dont elles sont victimes. Dans Scotland’s Drugs Deaths Crisis, l’autrice documente cette fois l’épidémie de décès causée par une forte consommation de drogues en Écosse en 2021 – conséquence tragique de l’apauvrissement grandissant du pays. À travers My Favourite Colour Was Yellow, elle aborde également la question de l’inégalité hommes-femmes et des injonctions sociales qui marquent la vie de ces dernières. The Fish That Never Swam – série retenue au Prix Virginia – marque l’aboutissement de ce long parcours de photographie engagée : Kirsty Mackay y mène une enquête sur les forces sociales, politiques, économiques et structurelles qui influencent notre espérance de vie – plus particulièrement, celle de ses concitoyen·nes de Glasgow, subissant les violences de politiques gouvernementales injustes. Un travail de reporter sans concessions.
Les conséquences meurtrières de politiques néfastes
À Glasgow, l’espérance de vie des habitant·es semble écourtée : elle est inférieure de sept ans à la moyenne britannique pour les hommes, et quatre ans pour les femmes. Dans le faubourg de Possil elle atteint même l’âge de 66 ans. Quant au taux de suicides ? Il est 30% plus élevé dans la capitale. Dans le quartier Penilee, trois jeunes se sont par exemple donné·es la mort en l’espace d’une semaine en juin 2020. Ce phénomène ne se limite pas aux zones défavorisées – les citoyen·nes de toutes les classes sociales voient leur espérance de vie réduite de 15 %. Durant quatre ans, Kirsty Mackay a mené l’enquête pour tenter de donner du sens à cette précarité. The Fish That Never Swam, livre auto-édité, est le résultat de nombreuses rencontres avec ses concitoyen·nes. De leurs témoignages, émerge un constat : celui de la maltraitance étatique et des conséquences meurtrières de politiques publiques néfastes. Celles-ci sont parvenues à créer un environnement où la ségrégation, l’aliénation, le chômage de masse, le traumatisme générationnel qui s’en est suivi, la pauvreté et le dénuement constituent désormais un problème de santé publique.
Kirsty Mackay a personnellement fait les frais de cette surmortalité, avec la mort précoce de son père et de trois de ses amis. En créant des connexions entre des études récentes et son propre vécu, la photographe mène une étude approfondie sur les inégalités en matière de santé. « C’est dans les corps des jeunes de Glasgow que Mackay cherche des traces des politiques (et de politicien·nes) mises en œuvre des décennies avant leur naissance. Le corps blanc d’un enfant en bas âge dans les bras de sa mère, une jeune fille ou un·e adolescent·e en sweat à capuche noir, rien ne les distingue, et pourtant iels sont soumis·es, comme Mackay, à une forme de prédestination sociale façonnée dans les salles de conseil et les groupes de réflexion, mais inscrite en nous dans nos os et dans les cellules qui les ont construits, et qui construisent nos enfants à leur tour », conclut Katherine Parhar, écrivaine, conservatrice et éducatrice.
The Fish That Never Swam, auto-édité, 45£, 288 p.
© Kirsty Mackay