La guerre n’est pas un fait divers

20 novembre 2019   •  
Écrit par Anaïs Viand
La guerre n'est pas un fait divers

Avec son ouvrage Human Interest Stories, Stephen Dock, 30 ans, propose un autre regard sur la guerre. Une quête de sens, entre humanisme et introspection.

« La guerre est devenue un objet de consommation, pourtant elle n’est pas un fait divers », déplore Stephen Dock. Et ce dernier sait de quoi il parle. Syrie, Mali, Egypte, Liban, ou encore Népal, ce photographe mulhousien de 30 ans s’est rendu aux quatre coins du monde afin de documenter les dysfonctionnements de nos sociétés, et les mouvements sociaux et guerres qui s’en sont suivis. Une passion pour la photographie et la guerre apparue à ses 17 ans. « J’ai eu une véritable illumination après avoir regardé le film de James Nachtwey, War photographer. Mon objectif à cette époque ? Aller à la guerre, se souvient-il. Chaque retour en France était difficile. Je tentais de vendre mes images et de me faire connaître. Un jour, j’ai même décidé de me tourner vers ma seconde passion, le skate, et j’ai ouvert un magasin. Un échec cuisant. J’ai donc replongé dans mes cartons et repris la photo ». Une heureuse intuition puisqu’il intègre ensuite l’Agence Vu, multiplie les publications dans la presse française et internationale, expose en festivals et se fait remarquer lors du Prix Leica Oscar Barnack 2018.

« Les faits divers ont pour effet de faire le vide politique, de dépolitiser et de réduire la vie du monde à l’anecdote qui peut être national ou planétaire en fixant et retenant l’attention sur des événements sans conséquences politiques, ils pourront même être dramatiser pour en tirer ou pour les transformer en problèmes de société », Pierre Bourdieu, Sur la télévison, Raisons d’agir, 1996.

© Stephen Dock

Un objet de rupture

Avec Human Interest Stories, son premier ouvrage publié aux éditions Sometimes il se replonge dans cinq ans d’archives. « Toutes les images ont été réalisées dans le cadre de commandes. Cinq ans durant lesquels j’ai été guidé par le marché », confie-t-il.  Stephen Dock signe pourtant ici un objet intime et introspectif, composé à partir d’images piquantes, et justes. « Pourquoi photographier la guerre si ce n’est pour remplir des doubles pages dans les magazines et flatter son égo ? Un photographe de guerre est-il désormais comme un voyeur ? », les interrogations s’enchaînent. Et s’il n’est jamais certain de trouver la « bonne » réponse, il est persuadé qu’il est nécessaire d’amener les gens à regarder différemment le conflit, à les confronter.

« On a tendance à oublier l’humain sur les zones de conflit. La guerre ne se résume pas à la ligne de front. On ne regarde pas la guerre de la bonne façon, explique-t-il. Les images suggestives perturbent plus que les images violentes ». En témoigne par exemple la double page située au milieu du livre et représentant un bain de sang. « Il s’agit surtout de la seule image qui ne convoque pas les hommes. Ici, ce n’est pas la guerre, juste le quotidien… ». Idem concernant le dernier cliché. « Cette photo “tolérablement visuelle” est la plus douce que j’ai faite représentant la mort ». Cette quête de sens l’amène à interroger sa propre écriture si bien qu’il peine à se ranger dans une case. Le tabou du photojournaliste serait-il enfin brisé ? Human Interest Stories apparaît comme un objet de rupture donc. Une rupture entamée depuis un certain temps déjà avec l’aide de ses mentors comme Stanley Greene, Gilles Peress ou Stéphane Duroy. Il apprend notamment de ce dernier que l’on peut enfreindre les règles. « Il m’a prouvé qu’on pouvait mélanger couleur et noir et blanc, et que l’on pouvait tout se permettre : éclater une photo, la recadrer, ajoute-t-il, mais mes photos doivent demeurer justes, et précisesdans l’intention comme dans la forme ». Un ouvrage à la lumière du personnage : curieux, et exigeant.

Human Interest Stories, Sometimes, 25 €, 24 p.

© Stephen Dock

Un parcours à découvrir ce soir, à l’auditorium de L’Adagp à l’occasion d’une rencontre organisée par Gens d’images, et modérée par Philippe Guionie, photographe, enseignant et directeur de la Résidence 1+2 à Toulouse.

ADAGP

11 rue Duguay-Trouin –

75006 Paris

Métro Ligne 4 – station Saint-Placide

 

© Stephen Dock

Explorez
Marie-Laure de Decker à la MEP : le regard sensible d’une photojournaliste
Valéry Giscard d’Estaing devant sa télévision, le soir de son élection comme président de la République française, Paris, 19 mai 1974 © Marie-Laure de Decker
Marie-Laure de Decker à la MEP : le regard sensible d’une photojournaliste
Jusqu’au 28 septembre 2025, l’œuvre de Marie-Laure de Decker s’expose à la Maison européenne de la photographie. Au fil de sa carrière...
Il y a 9 heures   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Caroline Sohie : « La beauté des images n’est pas sans conséquence, elle a un poids »
© Caroline Sohie
Caroline Sohie : « La beauté des images n’est pas sans conséquence, elle a un poids »
Autrefois carrefour de la traite et du commerce colonial, Bagamoyo, sur la côte tanzanienne, juste en face de Zanzibar, est aujourd’hui...
21 juin 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Raymond Depardon, l’éloge du passage
© Raymond Depardon
Raymond Depardon, l’éloge du passage
La Galerie Magnum présente Raymond Depardon : Passages, une rétrospective visible jusqu'au 26 juillet 2025. À travers une...
18 juin 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
Le palmarès du prix Picto de la Mode 2025 : la mode au croisement des enjeux contemporains
Symbiose © Arash Khaksari
Le palmarès du prix Picto de la Mode 2025 : la mode au croisement des enjeux contemporains
À l’occasion de la 27e édition du prix Picto de la Photographie de Mode, la cour du Palais Galliera s’est transformée en un lieu...
16 juin 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Marie-Laure de Decker à la MEP : le regard sensible d’une photojournaliste
Valéry Giscard d’Estaing devant sa télévision, le soir de son élection comme président de la République française, Paris, 19 mai 1974 © Marie-Laure de Decker
Marie-Laure de Decker à la MEP : le regard sensible d’une photojournaliste
Jusqu’au 28 septembre 2025, l’œuvre de Marie-Laure de Decker s’expose à la Maison européenne de la photographie. Au fil de sa carrière...
Il y a 9 heures   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Les coups de cœur #548 : Konrad Hellfeuer et Lucie Boucher
Diversum © Konrad Hellfeuer
Les coups de cœur #548 : Konrad Hellfeuer et Lucie Boucher
Konrad Hellfeuer et Lucie Boucher, nos coups de cœur de la semaine, invitent à ralentir, observer et contempler. Interrogeant les thèmes...
23 juin 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot
Les images de la semaine du 16 juin 2025 : expositions, mode et esthétique variées
Entrelacs © Manon Bailo
Les images de la semaine du 16 juin 2025 : expositions, mode et esthétique variées
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, les pages de Fisheye ont été façonnées par des expositions en cours ou à venir, la remise du prix...
22 juin 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Caroline Sohie : « La beauté des images n’est pas sans conséquence, elle a un poids »
© Caroline Sohie
Caroline Sohie : « La beauté des images n’est pas sans conséquence, elle a un poids »
Autrefois carrefour de la traite et du commerce colonial, Bagamoyo, sur la côte tanzanienne, juste en face de Zanzibar, est aujourd’hui...
21 juin 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas