Fisheye Magazine : J’ai lu que tu es infirmier de métier. Pourquoi es-tu devenu photographe ?
Julien Coquentin
: Ça je ne sais pas, en revanche comme très souvent dans l’existence les choses se tiennent entre elles, je suis devenu infirmier pour le voyage et c’est encore le voyage qui m’a mené à la photographie.
J’ai découvert ton travail récemment, grâce à Saisons noires. Je m’aperçois que, après tes nombreux voyages, c’est sans doute ton travail le plus intimiste. Qu’est-ce qui a provoqué ce retour aux sources ? Pourquoi être passé de l’ailleurs à l’intime ?
Je photographie ce qui m’entoure, mon environnement le plus immédiat. Il ne s’agit pas tant d’ailleurs ou d’intime, car après avoir passé deux années à Montréal, l’ailleurs était devenu intime et il y a beaucoup de cette intimité au cœur même de la série réalisée là-bas intitulée tôt un dimanche matin. Les saisons noires restent cependant mon ouvrage le plus personnel c’est exact, parce qu’il s’agit avant tout d’un travail modelé autour de la mémoire, du temps, de l’enfance et qu’il est impossible d’aborder de tels sujets sans y adjoindre une part essentielle de ce que l’on croit être.
Qu’évoquent ces Saisons noires ?
Des sensations. Des sensations cherchées aux travers de gestes simples, au gré des paysages qui m’entourent et de ceux qui l’arpentent.
C’est une série sur laquelle tu as travaillé combien de temps ?
Presque trois ans.
Où ont été prises les photos et que représentent ces endroits pour toi ?
Dans un petit bout de campagne aveyronnaise où j’ai grandi. Un territoire qui enclot une part de mon histoire et qui deviendra aussi celle de mes enfants. Je suis fasciné par cette transmission, ce passage d’une génération à une autre, de choses imperceptibles, d’objets, de souvenirs. La photographie s’inscrit dans ce processus lent.
Le noir, c’est la couleur de l’obscurité. Ce qui est paradoxal, c’est qu’il y a un vrai travail sur la lumière dans tes images. C’est d’ailleurs une série très lumineuse. Qu’en-dis-tu ?
Je suis d’accord. J’essaye toujours de chercher l’équilibre entre l’obscurité et la lumière et privilégie ces heures du jour Entre chien et loup, lorsque les paysages se dissimulent dans la brume. Je cherche la lumière, la clarté, mais pas l’éblouissement. Je la cherche légère, presque fragile, de manière à ce qu’à la toute fin on ne voit plus qu’elle.
Est-ce que la photographie c’est pour toi le moyen de « retrouver » la mémoire ? Ou du moins, de l’éprouver physiquement avec l’appareil photo ?
Non pas de la retrouver mais peut-être en effet de l’éprouver pour en conserver la trace. Lorsque je photographie une scène je n’ai pas l’impression de chercher à me souvenir, mais en revanche, l’acte de photographier fait surgir à nouveau des sensations enfouies, qui demeurent-là, affleurantes.
Dans le premier texte de ton ouvrage, tu expliques : « J’ignore le moment où cette série a précisément commencé ». Peux-tu nous dire comment elle s’est achevée ?
Par la naissance de mon troisième enfant, un petit garçon prénommé Samuel. L’image est dans ma tête.
Tu as dédié ton ouvrage à la mémoire de ta grand-mère. Qui était-elle ? Est-ce que tu l’as beaucoup photographié ?
Assez peu. Elle est morte en 2008, époque où je commençais tout juste à comprendre que la photographie allait s’emparer de mon existence. C’est elle qui m’a offert mon premier appareil, j’étais tout gosse, elle avait souhaité en changer, j’avais hérité du sien. Elle aimait la photographie mais dans son usage le plus commun, telle qu’on le devine au-travers toutes ces images de famille qui s’échangent aujourd’hui dans les brocantes. Elle nous parlait souvent d’un grand oncle ayant vécu dans la première moitié du 20ème siècle, un curé photographe sur l’Aubrac, une figure inscrite dans mon imaginaire comme le personnage d’une histoire mystérieuse. Elle était très douce avec ses petits-enfants, très délicate et dans le même temps pouvait être autoritaire, pour ne pas dire cassante, avec les autres. J’ai photographié ses mains quelques mois avant sa mort, l’image ouvre véritablement les saisons noires.
Comment tes proches ont-ils reçus cet ouvrage ?
Mes petites l’appréhenderont réellement plus tard. Ma compagne quant à elle regarde les saisons noires comme un objet qui a sa vie propre, elle m’a vu à l’ouvrage, elle en connait un grand nombre des images, aussi celles qui n’ont pas été publiées, elle éprouve notre existence dont le livre n’est qu’une toute petite part.
Concernant la couverture de l’ouvrage : pourquoi avoir choisi cette image ? Que représente-t-elle ?
Il s’agit de ma compagne, plus exactement de son dos prenant tout l’espace de l’image, un corps-paysage. J’ai proposé cette photographie à mon éditeur, David Fourré, qui s’en est immédiatement emparé. Plus tard j’ai eu des doutes la concernant mais David a défendu, bec et ongles, ce premier choix. Et puis enfin, d’attendre un troisième petit m’a finalement déterminé, cela faisait parfaitement sens.
Un des textes est très intriguant : l’histoire du renard. Quel est ce souvenir et pourquoi fallait-il le rapporter dans ce livre ?
C’est un court texte dans lequel j’évoque deux renards. Le premier est venu se terrer chez nous avant de mourir dans la nuit, le deuxième fut abattu par plaisir pour ainsi dire. Je les ai imaginés sauvages, s’échapper au cœur de la forêt. J’ai pensé à un enfant qui cherche aussi à s’échapper, se défaire de la zone qui l’a vu naitre. J’éprouve ce sentiment contradictoire avec la terre de mes origines, un mouvement continu de répulsion et d’attirance, comme si je demeurai otage de celle-ci, alors j’ai imaginé me sauver moi-aussi dans le sillon des deux renards.
Trois mots pour décrire ce travail ?
Je crains de me répéter.