L’atlas polyphonique de Mathieu Pernot

01 août 2022   •  
Écrit par Anaïs Viand
L’atlas polyphonique de Mathieu Pernot

Une escale s’impose à Marseille, au MucemMathieu Pernot expose son Atlas en mouvement, un projet au long cours autour de l’expérience de l’exil. Un récit partagé fait de ses propres créations et de collaborations avec des migrants. Une exposition incontournable, à découvrir jusqu’au 9 octobre.

Direction Marseille. Sous le ciel d’Ali, devant la nature de Marwan et dans les anatomies de Maryam. Au sein du fort Saint-Jean, au Mucem, Mathieu Pernot expose son Atlas en mouvement, soit douze années de travail autour de la migration. Mais ici, point d’images violentes d’enfants sur les côtes turques. Le photographe français a préféré imaginer un récit polyphonique, fait de rencontres et de créations. « Les photographies montrant des migrants sont très souvent faites par des personnes qui n’ont pas vécu leur situation, qui documentent et montrent ce qu’elles voient d’un point de vue extérieur », annonce-t-il. Dans son poème visuel exposé dans la cité phocéenne et décliné en un ouvrage paru aux éditions textuel, trois types d’images cohabitent alors : les productions des migrants, les siennes, et celles construites ensemble. « J’ai eu l’envie de constituer une iconographie qui s’envisagerait avec eux, de faire en sorte qu’ils ne subissent pas l’image faite par d’autres », précise-t-il. L’idée est apparue en 2016, à l’occasion d’une résidence au mémorial de Risevaltes, dans les Pyrénées-Orientales. Il y découvre une langue sublime : le tirigrinya, parlé en Érythrée en collaborant avec des réfugiés. « J’ai alors réalisé que j’avais beaucoup à apprendre de ces personnes, dépositaires d’un savoir et d’une culture dont certains objets sont quelques fois exposés dans nos musées. Je me suis senti ignorant, confie-t-il. J’ai voulu inverser la perspective de la représentation de ces personnes et constituer avec elles un objet à dimension encyclopédique, qui nous apprenne autant sur le monde que sur leurs histoires personnelles ». Deuxième étape clef, 2018 : sa résidence d’artiste au collège de France – la première. C’est là-bas qu’il fait, entre autres, la connaissance de l’astronome syrien Muhammad Ali Sammuneh et du spécialiste en biodiversité Marwan Cheikh Albassatneh, tous deux ayant bénéficié d’un programme universitaire d’accueil. Avec eux, comme avec d’autres, Mathieu Pernot imagine des chapitres de ce qu’il nomme l’« Histoire partagée ».

© Mathieu Pernot

Mers de l’horreur

Mais alors, comment rendre compte de la complexité de ces récits de vie ? Comment traiter de la migration tout en évitant l’écueil de la simplicité ? Mathieu Pernot a choisi de faire dialoguer quelques centaines de clichés, vidéos, cahiers, cartes et autres objets collectés au cours de ses voyages. L’espèce animale, les planètes, les courants marins, les plantes… « Tout est mouvement sur la terre, tout sauf l’espèce humaine. Une partie de l’humanité se trouve contrainte et empêchée dans sa volonté de se déplacer », rappelle l’artiste. Chaque année pourtant, des hommes, des femmes et des enfants arpentent des territoires, et tentent de franchir des frontières. De Mossoul à Alep, de Lesbos à Calais en passant par Paris, L’Atlas en mouvement rend hommage à ces aventuriers du XXIe siècle, souvent amassé sur des embarcations de fortune. Passionné de cartes, Mathieu Pernot a identifié les naufrages connus et invisibles sur d’anciennes cartes marines. Des documents précieux rappelant un chiffre glaçant : depuis 2014, l’Organisation internationale pour les migrations a recensé le nombre de noyés à 28 500. Dans ces mers de l’horreur se produisent parfois des miracles, et l’artiste a reconstitué avec quelques migrants leur itinéraire, depuis leur point de départ, dans leur pays d’origine jusqu’à leur arrivée en France. Les tracés figurent sur des pages de cahier et sont exposés dans une installation réalisée in situ au Mucem. On retrouve plus tard des pages d’écriture. Notamment celles de Mansour Souleiman Khel aujourd’hui chef de rang sur une péniche parisienne. La beauté des écrits se confronte à la violence des mots : « froid », « difficile », « peur », « dangereux », « elle est malade ». « Durant des cours de français donnés par l’association français, langue d’accueil, j’ai pris conscience que, parmi les rares objets qui les accompagnent au cours de le leur voyage, on retrouve quasiment toujours un stylo et un cahier. Et souvent, on ne peut raconter son histoire que lorsque la ligne d’arrivée a été atteinte », commente le chef d’orchestre de ce projet aux entrées multiples.

© Mathieu Pernot

Mise en tension d’images

Immersion ensuite sur l’île de Lesbos auprès d’oliviers centenaires dans la jungle de la Mória. « Des arbres devenus corps écorchés, car les migrants sont contraints de couper du bois pour se chauffer », explique-t-il. Le corps éprouvé fait d’ailleurs l’objet d’une séquence particulière. Parmi les œuvres, des dessins de l’artiste syrien Najah Albukai rendant compte des scènes de torture subies dans les prisons du régime ou encore des empreintes de mains, réaliser par Mathieu Pernot, symbole de l’identification et du contrôle. Que peut nous dire le ciel de l’histoire de celui qui le regarde ? Comment garder le cap quand les logements de fortunes brulent ou sont démantelés ? L’Atlas de Mathieu Pernot nous emporte tantôt sous la voute céleste tantôt devant les débris de Mossoul, à la suite de la bataille de 2019. À Marseille, on sort de son installation circulaire silencieuse, et on pénètre dans une salle de projection. Il y présente un documentaire intitulé Ce qu’il se passe (2020) rassemblant des vidéos réalisées par des migrants. Ici encore, rien de misérabiliste, il se fait le passeur de la réalité, il partage des histoires incarnées : des cris et des incendies, des manifestations pour la libération de détenus et des tentatives pour gagner la frontière grecque. Son atlas dépasse le sens premier du terme (recueil de cartes géographiques) pour aller vers une « mise en tension d’images différentes ». L’ensemble relève de l’art total, et participe à l’écriture de la grande Histoire. Vous l’aurez compris, si vous êtes de passage dans le sud de la France, il est impératif de s’arrêter au Mucem.

 

L’Atlas en mouvement, Éditions Textuel, 39€, 352 p. 

 

L’Atlas en mouvement

Jusqu’au 9 octobre

MUCEM, 1 esp. J4, 13002 Marseille

© Mathieu Pernot © Mathieu Pernot

© Mathieu Pernot

© Mathieu Pernot© Mathieu Pernot

© Mathieu Pernot

© Mathieu Pernot

© Mathieu Pernot© Mathieu Pernot

© Mathieu Pernot

© Mathieu Pernot

Explorez
5 événements photo à découvrir ce week-end
© Sandra Eleta
5 événements photo à découvrir ce week-end
Ça y est, le week-end est là. Si vous prévoyez une sortie culturelle, mais ne savez pas encore où aller, voici cinq événements...
22 novembre 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
La Galerie Carole Lambert réenchante l'œuvre de Manuel Álvarez Bravo
Petit cheval de Quito © Archivo Manuel Álvarez Bravo
La Galerie Carole Lambert réenchante l’œuvre de Manuel Álvarez Bravo
Jusqu'au 18 décembre 2025, la Galerie Carole Lambert devient l’écueil des 40 tirages d’exception du photographe mexicain Manuel Álvarez...
21 novembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Emilio Azevedo : En ligne de mire
Rondônia (Comment je suis tombé amoureux d’une ligne), 2023 © Emilio Azevedo
Emilio Azevedo : En ligne de mire
Présentée dans le cadre du festival PhotoSaintGermain et au musée du Quai Branly, l'exposition Rondônia. Comment je suis tombé amoureux...
20 novembre 2025   •  
Écrit par Milena III
À la MEP, Tyler Mitchell joue avec les codes du portrait formel
The root of all that lives, 2020 © Tyler Mitchell. Courtesy de l'artiste et de la Galerie Gagosian
À la MEP, Tyler Mitchell joue avec les codes du portrait formel
Jusqu’au 25 janvier 2026, la Maison européenne de la photographie présente la première exposition personnelle de Tyler Mitchell en...
19 novembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Nos derniers articles
Voir tous les articles
5 événements photo à découvrir ce week-end
© Sandra Eleta
5 événements photo à découvrir ce week-end
Ça y est, le week-end est là. Si vous prévoyez une sortie culturelle, mais ne savez pas encore où aller, voici cinq événements...
22 novembre 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
La Galerie Carole Lambert réenchante l'œuvre de Manuel Álvarez Bravo
Petit cheval de Quito © Archivo Manuel Álvarez Bravo
La Galerie Carole Lambert réenchante l’œuvre de Manuel Álvarez Bravo
Jusqu'au 18 décembre 2025, la Galerie Carole Lambert devient l’écueil des 40 tirages d’exception du photographe mexicain Manuel Álvarez...
21 novembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Les secrets des météorites dévoilés par Emilia Martin
I saw a tree bearing stones in place of apples and pears © Emilia Martin
Les secrets des météorites dévoilés par Emilia Martin
Dans son livre I Saw a Tree Bearing Stones in the Place of Apples and Pears, publié chez Yogurt Editions, Emilia Martin s’intéresse au...
21 novembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Jonathan Bertin : l'impressionnisme au-delà des frontières
Silhouette urbaine, Séoul Impressionism © Jonathan Bertin
Jonathan Bertin : l’impressionnisme au-delà des frontières
Jusqu’au 20 décembre 2025, Jonathan Bertin présente, à la Galerie Porte B, un dialogue délicat entre sa Normandie natale et Séoul, ville...
20 novembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger