Une escale s’impose à Marseille, au Mucem où Mathieu Pernot expose son Atlas en mouvement, un projet au long cours autour de l’expérience de l’exil. Un récit partagé fait de ses propres créations et de collaborations avec des migrants. Une exposition incontournable, à découvrir jusqu’au 9 octobre.
Direction Marseille. Sous le ciel d’Ali, devant la nature de Marwan et dans les anatomies de Maryam. Au sein du fort Saint-Jean, au Mucem, Mathieu Pernot expose son Atlas en mouvement, soit douze années de travail autour de la migration. Mais ici, point d’images violentes d’enfants sur les côtes turques. Le photographe français a préféré imaginer un récit polyphonique, fait de rencontres et de créations. « Les photographies montrant des migrants sont très souvent faites par des personnes qui n’ont pas vécu leur situation, qui documentent et montrent ce qu’elles voient d’un point de vue extérieur », annonce-t-il. Dans son poème visuel exposé dans la cité phocéenne et décliné en un ouvrage paru aux éditions textuel, trois types d’images cohabitent alors : les productions des migrants, les siennes, et celles construites ensemble. « J’ai eu l’envie de constituer une iconographie qui s’envisagerait avec eux, de faire en sorte qu’ils ne subissent pas l’image faite par d’autres », précise-t-il. L’idée est apparue en 2016, à l’occasion d’une résidence au mémorial de Risevaltes, dans les Pyrénées-Orientales. Il y découvre une langue sublime : le tirigrinya, parlé en Érythrée en collaborant avec des réfugiés. « J’ai alors réalisé que j’avais beaucoup à apprendre de ces personnes, dépositaires d’un savoir et d’une culture dont certains objets sont quelques fois exposés dans nos musées. Je me suis senti ignorant, confie-t-il. J’ai voulu inverser la perspective de la représentation de ces personnes et constituer avec elles un objet à dimension encyclopédique, qui nous apprenne autant sur le monde que sur leurs histoires personnelles ». Deuxième étape clef, 2018 : sa résidence d’artiste au collège de France – la première. C’est là-bas qu’il fait, entre autres, la connaissance de l’astronome syrien Muhammad Ali Sammuneh et du spécialiste en biodiversité Marwan Cheikh Albassatneh, tous deux ayant bénéficié d’un programme universitaire d’accueil. Avec eux, comme avec d’autres, Mathieu Pernot imagine des chapitres de ce qu’il nomme l’« Histoire partagée ».
Mers de l’horreur
Mais alors, comment rendre compte de la complexité de ces récits de vie ? Comment traiter de la migration tout en évitant l’écueil de la simplicité ? Mathieu Pernot a choisi de faire dialoguer quelques centaines de clichés, vidéos, cahiers, cartes et autres objets collectés au cours de ses voyages. L’espèce animale, les planètes, les courants marins, les plantes… « Tout est mouvement sur la terre, tout sauf l’espèce humaine. Une partie de l’humanité se trouve contrainte et empêchée dans sa volonté de se déplacer », rappelle l’artiste. Chaque année pourtant, des hommes, des femmes et des enfants arpentent des territoires, et tentent de franchir des frontières. De Mossoul à Alep, de Lesbos à Calais en passant par Paris, L’Atlas en mouvement rend hommage à ces aventuriers du XXIe siècle, souvent amassé sur des embarcations de fortune. Passionné de cartes, Mathieu Pernot a identifié les naufrages connus et invisibles sur d’anciennes cartes marines. Des documents précieux rappelant un chiffre glaçant : depuis 2014, l’Organisation internationale pour les migrations a recensé le nombre de noyés à 28 500. Dans ces mers de l’horreur se produisent parfois des miracles, et l’artiste a reconstitué avec quelques migrants leur itinéraire, depuis leur point de départ, dans leur pays d’origine jusqu’à leur arrivée en France. Les tracés figurent sur des pages de cahier et sont exposés dans une installation réalisée in situ au Mucem. On retrouve plus tard des pages d’écriture. Notamment celles de Mansour Souleiman Khel aujourd’hui chef de rang sur une péniche parisienne. La beauté des écrits se confronte à la violence des mots : « froid », « difficile », « peur », « dangereux », « elle est malade ». « Durant des cours de français donnés par l’association français, langue d’accueil, j’ai pris conscience que, parmi les rares objets qui les accompagnent au cours de le leur voyage, on retrouve quasiment toujours un stylo et un cahier. Et souvent, on ne peut raconter son histoire que lorsque la ligne d’arrivée a été atteinte », commente le chef d’orchestre de ce projet aux entrées multiples.
Mise en tension d’images
Immersion ensuite sur l’île de Lesbos auprès d’oliviers centenaires dans la jungle de la Mória. « Des arbres devenus corps écorchés, car les migrants sont contraints de couper du bois pour se chauffer », explique-t-il. Le corps éprouvé fait d’ailleurs l’objet d’une séquence particulière. Parmi les œuvres, des dessins de l’artiste syrien Najah Albukai rendant compte des scènes de torture subies dans les prisons du régime ou encore des empreintes de mains, réaliser par Mathieu Pernot, symbole de l’identification et du contrôle. Que peut nous dire le ciel de l’histoire de celui qui le regarde ? Comment garder le cap quand les logements de fortunes brulent ou sont démantelés ? L’Atlas de Mathieu Pernot nous emporte tantôt sous la voute céleste tantôt devant les débris de Mossoul, à la suite de la bataille de 2019. À Marseille, on sort de son installation circulaire silencieuse, et on pénètre dans une salle de projection. Il y présente un documentaire intitulé Ce qu’il se passe (2020) rassemblant des vidéos réalisées par des migrants. Ici encore, rien de misérabiliste, il se fait le passeur de la réalité, il partage des histoires incarnées : des cris et des incendies, des manifestations pour la libération de détenus et des tentatives pour gagner la frontière grecque. Son atlas dépasse le sens premier du terme (recueil de cartes géographiques) pour aller vers une « mise en tension d’images différentes ». L’ensemble relève de l’art total, et participe à l’écriture de la grande Histoire. Vous l’aurez compris, si vous êtes de passage dans le sud de la France, il est impératif de s’arrêter au Mucem.
L’Atlas en mouvement, Éditions Textuel, 39€, 352 p.
Jusqu’au 9 octobre
MUCEM, 1 esp. J4, 13002 Marseille
© Mathieu Pernot