Daria Nazarova et Polina Muzyka, nos coups de cœur de la semaine, nous parlent de quête identitaire et de leur Russie natale, qu’elles ont quittée pour des raisons politiques. Si la première trouve dans la photographie la force de revenir à ses racines, la seconde compose des récits érotiques pour revendiquer la liberté et comprendre la matérialité des corps.
Daria Nazarova
Daria Nazarova est née en Russie. Grandissant dans une maisonnée créative, elle réalise, alors qu’elle a 18 ans, que « la photographie était le meilleur moyen d’exprimer ses émotions et ses idées ». Elle commence par capturer ses ami·es, sa famille, son environnement proche, puis s’en va pour étudier le médium dans une université de Saint-Pétersbourg. Or, la Russie n’est pas, à ce jour, un pays accueillant pour les artistes. « Les circonstances politiques mais aussi ma curiosité m’ont conduite en Géorgie », confie la photographe. Là-bas, son attention artistique se porte sur l’identité, l’appartenance et les liens entre les générations, les personnes et les lieux. « Je suis attirée par les endroits inconnus, les communautés fermées et l’exploration de mondes qui existent à côté du nôtre, mais qui sont souvent cachés », révèle-t-elle. En Géorgie, elle travaille d’abord comme modèle pour des sculpteur·ices – pour interagir avec les locaux·ales, mais surtout « pour fuir ou pour transformer mon identité, en effaçant la douleur causée par la guerre et l’émigration », avoue Daria Nazarova. Sa pratique photographique lui offre un espace d’expression personnelle. Elle dessine des toiles de ses propres expériences. « J’ai commencé à me comprendre plus profondément et à devenir plus forte, en embrassant plutôt qu’en rejetant mon passé et mes racines. Je peux surmonter les traumatismes », conclut l’autrice.
Polina Muzyka
La photographie de Polina Muzyka est transgressive, érotique et puissante. L’artiste russe exilée vagabonde sur les canapés de ses ami·es en Europe et explore la nudité, le sexe, la féminité et la réalité corporelle telle une arme contre le régime de Poutine. « Comme l’a noté le célèbre activiste Anton Nikolaev, la sexualité est le dernier bastion de la liberté. Lorsque les autorités s’emparent de l’érotisme et de la sexualité, c’est fini. C’est l’un des signes les plus évidents d’une dictature », soutient-elle. En 2013, la Russie passe une loi interdisant la « propagande LGBTQIA+ ». En 2023, elle s’en prend au mouvement queer international. Face à la censure, Polina Muzyka compose avec des modèles un univers coloré, luxurieux, sensuel et provocateur. Son travail, au-delà d’être un acte militant formant des « images pour le futur », est aussi l’occasion pour elle d’entrer en contact avec la matière et l’éros. « Au sens psychanalytique, je ne vois pas l’existence de mon corps et je ne suis pas capable d’intimité avec quelqu’un », confie la photographe. Ainsi, à travers ces images, elle côtoie ce monde voluptueux qu’elle ne peut connaître de manière personnelle.