Tout juste lauréate du prix Nadar, FLORE offre avec L’odeur de la nuit était celle du jasmin une immersion dans le temps. Sorti aux éditions Maison CF, cet ouvrage fouille les souvenirs d’enfance de la photographe et narre un imaginaire dans le sillage de Marguerite Duras.
« Sur l’instant, vous n’entendez que les histoires qu’on vous raconte. Puis avec le temps, ces histoires font résonance en vous et les choses ressurgissent. » C’est ainsi que FLORE évoque son rendez-vous avec une Indochine à la fois familiale et romancée. C’est en parcourant l’œuvre de Marguerite Duras que la photographe a trouvé cet écho de son enfance. Nourrie aux récits de sa grand-mère, peuplés de souvenirs de cet ailleurs, la photographe fixe sur un support sensible les images qui ont fabriqué ses songes. Dans cette quête intérieure, elle construit le mythe d’une terre qu’elle conquiert comme une partie de soi.
C’est aussi le tableau d’une rencontre, celle de FLORE avec l’écrivaine française Marguerite Duras. Une rencontre dont l’évocation a débuté avec Lointains souvenirs, sa première série autour de l’adolescence de la femme de lettres. Une relation très personnelle qu’elle entretient comme une amitié fantasmée. « Marguerite Duras est une auteure difficile à quitter, confie-t-elle. C’est une relation forte où la personne vous éblouit un jour comme elle peut vous exaspérer le lendemain. Mais elle m’a apporté de grands espaces de liberté. » C’est ainsi que d’une passion littéraire, nous sommes conduits sur les lieux d’une histoire distante et commune. Les grands-parents de FLORE ont vécu cette période et habité ces lieux que le prix Goncourt 1984 met en mots dans son cycle indochinois.
Composer avec l’auteure
Dès les premières pages de cette édition récompensée par un prix Nadar mérité et réalisée main dans la main avec Clémentine de la Féronnière, sa galeriste, nous sommes confrontés à la figure de Duras. Par une photographie intrigante de celle-ci en double de soi s’annonce la complexité subtile du rapport au monde et aux autres qu’elle développera dans ses écrits. Puis sur L’odeur de la nuit était celle du jasmin plane en permanence sa présence. Mais alors, comment pour la photographe rester maître de son ouvrage ? Comment ne pas être débordée, dévorée par son aînée ? FLORE ne signe en aucun cas un livre d’illustrations et accomplit même le tour de force de composer avec l’auteure un récit personnel.
« Je ne voulais pas tomber dans le document, ne pas mettre en images celles qu’on trouve dans les livres de Duras, raconte la photographe. C’est une autre histoire qui se déroule – comme les phrases qui parsèment le livre. Mises ensemble, elles deviennent autre chose, et j’espère qu’elle me le pardonnera (rire). » Cette technique de la narration, FLORE la maîtrise parfaitement. C’est aussi pour cela qu’elle n’a pas souhaité concevoir ce livre comme un catalogue de l’exposition qu’elle propose à l’Académie des Beaux-Arts jusqu’en janvier 2021 . « Je n’ai pas voulu que ce soit les mêmes images qui apparaissent, explique-t-elle. Une nouvelle couche qui se rajoute à l’histoire et les images que je montre ont été pensées pour la salle. »
Un mentir-vrai
Mais il ya autre chose qui émane de ces photographies. Quelque chose qui éveille les sens, qui dépasse le regard et écrase la simple anecdote. Cette part de magie qui bâtit un univers et peut nous faire dire « Nous y sommes ! ». Il ne s’agit pas là d’une histoire française, et pourtant, il subsiste une part d’universel. Ce sont des parfums, des sons, la moiteur des jours qui nous parviennent. Nous vivons alors un autre temps en d’autres lieux. « Ce n’est pas seulement un déplacement dans l’espace que j’ai souhaité, confie-t-elle. J’ai aussi voulu un voyage dans le temps. » Ce défi, elle le réalise par le traitement de l’image. Dans un noir et blanc viré au thé, les formes se fondent pour réaliser ce qu’elle appelle « un mentir-vrai ».
Cette histoire est-elle terminée, la photographe ne le sait pas. Mais elle pense être arrivée à une forme d’aboutissement. Ces puissances relationnelles, presque passionnelles, ne peuvent souvent pas se tenir dans une pareille intensité sans risquer de se perdre. Alors, on s’éloigne sans tout à fait se quitter puis on aime à se retrouver et se redécouvrir. « Il peut s’installer une forme de lassitude quand on vous accompagne depuis l’adolescence, conclut FLORE. Mais je ne lui dois rien. Tout ce que je fais, je ne le dois qu’à moi-même. C’est l’éternelle histoire de la présence-absence. Celle que chacun de nous a pu éprouver ou éprouvera un jour. »
L’odeur de la nuit était celle du jasmin, éditions Maison CF, 45€, 146 p.
© FLORE / Courtesy Maison CF