Du carnet anthropométrique (visant à surveiller les déplacements des nomades en France) aux Gorgan de Mathieu Pernot (portrait d’une famille rom suivie depuis 1995), le Musée national de l’histoire de l’immigration revient sur la fascination des photographes pour les Tsiganes et la façon dont l’image fixe a nourri les stéréotypes. Cet article, rédigé par Matthieu Oui, est à retrouver dans notre dernier numéro.
Immortalisés par André Kertész, Josef Koudelka, Lucien Clergue et bien d’autres, les Tsiganes ont toujours fasciné les photo- graphes, au point de devenir « un lieu commun de la photographie humaniste », précise Clément Chéroux, conservateur en chef de la photographie au musée d’Art moderne de San Francisco. Pourtant, l’histoire de leur représentation par l’image photographique n’avait pas encore fait l’objet d’un travail muséal approfondi. C’est justement le propos de la double exposition du Musée national de l’histoire de l’immigration, à Paris, dont le commissariat est assuré par les chercheurs Ilsen About et Adèle Sutre, et par le photographe Mathieu Pernot. Mondes tsiganes est constitué d’un premier volet his- torique couvrant la période de 1860 à 1980, riche de 800 photographies. La seconde partie, contemporaine, présente le travail de Mathieu Pernot sur la famille tsigane arlésienne des Gorgan – une des séries exposées les plus remarquées des Rencontres d’Arles l’été dernier.
Images et Fantasmes
« Nous avons voulu montrer le rôle de la photographie dans la stigmatisation de cette population, mais aussi exposer les transformations sociales et économiques qu’elle a vécues », explique Ilsen About à propos de la première partie de l’exposition. Puisé dans soixante collections et fonds d’archives, un vaste corpus d’images – cartes postales, documents ethnographiques, photos anthropométriques, tirages de presse, etc. – déploie la construction de nombreux stéréotypes. Au fil du parcours se retrouvent les clichés de la vie en roulotte, les femmes « farouches et séduisantes » (à l’instar du personnage de l’opéra Carmen), les enfants en guenilles, les montreurs d’ours ou de singes, les vanniers, les cartomanciennes, etc. La presse illustrée, en plein essor dans l’entre- deux-guerres, est l’un des supports de diffusion de cette imagerie. En 1938, une somptueuse fête de mariage organisée dans les anciennes fortifications de Paris attire l’œil de plusieurs photographes, dont celui de Denise Bellon. Paris Match publie alors le portrait de la mariée avec la légende suivante : « Cette femme a été achetée 84 000 francs. » Le magazine Détective préfère pour sa part publier des sujets plus sombres, du genre « Guerres de gitans » ou « Haines de tribus ». L’exposition présente des carnets anthropométriques rendus obligatoires par la loi du 16 juillet 1912 « relative à l’exercice des professions ambulantes » et qui permettaient d’identifier et de surveiller les déplacements des nomades sur le territoire français. Sont également évoqués les milliers d’internements de la Seconde Guerre mondiale à travers les images des camps de concentration pour Tsiganes de Montreuil-Bellay ou celui de Rivesaltes. Cette première partie s’achève par les travaux d’auteurs ayant développé, chacun à leur manière, une relation de proximité avec les gitans, comme le photographe Jacques Léonard, qui a partagé la vie de la communauté gitane de Barcelone, ou Émile Savitry, compagnon de route du célèbre guitariste Django Reinhardt.
© Mathieu Pernot
L’intégralité de cet article est à retrouver dans Fisheye #29, en kiosque et disponible ici.