Nicholas Nixon : la relation sensible entre un homme et ses modèles

13 décembre 2021   •  
Écrit par Anaïs Viand
Nicholas Nixon : la relation sensible entre un homme et ses modèles

Nicholas Nixon investit les murs de la Galerie Le Château d’Eau, à Toulouse. Une occasion de (re)découvrir sa série The Brown Sisters, exposée dans son intégralité et pour la première fois en France. L’exposition Une infime distance, visible jusqu’au 16 janvier, révèle son regard tendre sur la vie – et la mort.

Heather, Mimi, Bebe, Laurie. Il n’y pas que le sang qui unit les sœurs Brown, il y a aussi, depuis 1975, le 8e art, et l’un de ses représentants : Nicholas Nixon. L’histoire de la mythique série The Brown Sisters a commencé en juillet, cette année-là, alors que le photographe américain et sa compagne, Bebe, rendaient visite à la famille de cette dernière. L’artiste immortalise les retrouvailles des quatre sœurs en réalisant un portrait à la chambre photographique sur un trépied, capturé sur un négatif de noir et blanc. L’année suivante, l’opération se répète à l’occasion de la remise des diplômes de l’une des Brown. Depuis, aucun rendez-vous n’a été manqué, et ce, malgré le temps qui passe et les aléas de la vie – la disparition, la maladie ou encore la pandémie. Toujours face caméra, et positionnées dans le même ordre, les soeurs ont maintenu cette tradition avec celui qui se considère comme un simple « opérateur ». « La chambre photographique installe une distance, elle implique un rapport physique. Pour que le résultat soit bon, il faut que le processus soit difficile. Je suis particulièrement à l’aise avec ce médium », explique le chef d’orchestre. Ici, tradition puritaine et tendresse ne font qu’un. Et les 47 tirages exposés dans la Galerie le Château d’Eau en disent long sur la puissance des liens humains : le choix de l’image finale s’effectue à cinq, systématiquement. Quant au sentiment amoureux, il est fondamental : la relation fusionnelle entre Nicolas et Bebe Nixon constitue le maillon essentiel de ce projet intime.

© Nicholas Nixon

La douleur du monde

La bonne distance. Tel est l’objet d’une quête devenue obsession. En témoignent les autres productions du photographe exposées à Toulouse. De ses autoportraits jusqu’à sa série sur les malades du sida à la fin des années 1980, en passant par sa série sur les nouveau-nés, Nixon photographie le détail pour dire la beauté de l’humanité tout entière. Ici, un visage ridé photographié en close-up, là une écharpe en mouvement. « Il m’a offert son dernier sourire », commente l’artiste devant la photographie d’un malade. « J’accorde de l’importance au détail, dans les ombres notamment. De façon symbolique, elles renvoient à la mort, comme à l’envie, c’est-à-dire au mauvais sentiment. Ainsi, on accepte d’autant mieux la lumière », précise-t-il. Nicholas Nixon ne documente pas seulement la détresse humaine, il en fait de l’art. Sans voyeurisme ni impudeur, il rend hommage aux oublié·e·s, aux incompris·es.

Au sujet de sa participation à l’exposition New Topographics : Photographs of a Man-Altered Landscape (un évènement tournant dans l’évolution de la photographie documentaire et la représentation des paysages urbains), il déclarait, en 1975 : « le monde est définitivement plus intéressant qu’une quelconque de mes opinions personnelles sur lui ». Et en cherchant à se positionner par rapport à la douleur du monde, il n’a jamais cessé de croire en l’amour. L’amour pour le 8e art, mais pas seulement. L’amour pour sa femme, Bebe, travailleuse sociale qui lui ouvre les portes des hôpitaux dans les années 1980, la seule à regarder, à chaque fois, l’objectif dans la série The Brown Sisters. L’amour pour ses enfants Clémentine et Sam, et pour ses belles-sœurs. Pour parvenir à photographier ainsi la vie – et donc la mort –, il faut savoir regarder le temps, et les gens. Voilà une belle leçon d’humilité. « Il méritait d’avoir une exposition institutionnelle dédiée à son travail », confiait Christian Caujolle, conseiller artistique du Château d’Eau. On ne peut qu’acquiescer : il était temps !

Le Château d’Eau,

1, place Laganne,
Jusqu’au 16 janvier 2022.

 

Un magnifique ouvrage publié à l’Atelier EXB/ Editions Xavier Barral complète l’exposition : 

Une infime distance, Atelier EXB/ Editions Xavier Barral, 55€, 168p.

© Nicholas Nixon© Nicholas Nixon© Nicholas Nixon

© Nicholas Nixon© Nicholas Nixon

© Nicholas Nixon / Courtesy galeries Jeffrey Fraenkel, San Fransisco et Eric Dupont, Pairs

Explorez
La sélection Instagram #452 : la danse sous toutes ses formes
© Aleksander Varadian Johnsen / Instagram
La sélection Instagram #452 : la danse sous toutes ses formes
Cette semaine, les photographes de notre sélection Instagram capturent les corps – et même les éléments – qui dansent à en perdre...
30 avril 2024   •  
Écrit par Marie Baranger
Les coups de cœur #490 : Guillaume Nedellec et Simona Pampallona
© Guillaume Nedellec
Les coups de cœur #490 : Guillaume Nedellec et Simona Pampallona
Nos coups de cœur de la semaine, Guillaume Nedellec et Simona Pampallona, nous plongent tous·tes deux dans une esthétique en...
29 avril 2024   •  
Isabelle Vaillant : récits d’une construction intime
© Isabelle Vaillant
Isabelle Vaillant : récits d’une construction intime
Jusqu’au 19 mai 2024, la photographe Isabelle Vaillant investit L’Enfant Sauvage, à Bruxelles, en proposant une exposition rétrospective....
26 avril 2024   •  
Écrit par Costanza Spina
Elie Monferier : le filon au bout de l’échec
© Elie Monferier
Elie Monferier : le filon au bout de l’échec
Imaginé durant une résidence de territoire au cœur du Couserans, en Ariège, Journal des mines, autoédité par Elie Monferier, s’impose...
25 avril 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Focus #72 : Mohamed Bourouissa esquisse les lignes de force d’une révolte
05:07
© Fisheye Magazine
Focus #72 : Mohamed Bourouissa esquisse les lignes de force d’une révolte
C’est l’heure du rendez-vous Focus ! Ce mois-ci, et en l’honneur de Signal, sa rétrospective, accueillie jusqu’au 30 juin 2024 au Palais...
Il y a 10 heures   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Les émeutes visuelles de Paul Van Trigt
© Paul Van Trigt
Les émeutes visuelles de Paul Van Trigt
Impliqué dans la scène musicale expérimentale depuis de nombreuses années, aussi bien avec ses projets MOT et IDLER qu'avec ses travaux...
01 mai 2024   •  
Écrit par Milena Ill
XXH 15 ans questionne la société de l’excès
© Andres Serrano
XXH 15 ans questionne la société de l’excès
Jusqu’au 29 juin 2024, la Fondation Francès célèbre ses 15 ans à travers l’exposition XXH 15 ans - Temps 1. Par les œuvres des artistes...
01 mai 2024   •  
Écrit par Costanza Spina
Ultra-violence, bodybuilding et livre d’artiste : nos coups de cœur photo du mois
© Kristina Rozhkova
Ultra-violence, bodybuilding et livre d’artiste : nos coups de cœur photo du mois
Expositions, immersion dans une série, anecdotes, vidéos… Chaque mois, la rédaction Fisheye revient sur les actualités photo qui l’ont...
30 avril 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas