Katarzyna Wąsowska et Krystian Daszkowski, établis en Pologne, ont collaboré ensemble pour créer It so happens that the world is not what it seems, un recueil photographique de faits paranormaux. Rencontre avec les deux artistes.
Fisheye : Pourquoi vous êtes-vous tourné vers la photographie ?
Katarzyna Wąsowska : J’ai passé le plus clair de ma vie à voyager, au Danemark notamment – je faisais des petits boulots là-bas. J’y ai rencontré beaucoup de gens, venus d’horizons différents. Cela a beaucoup influencé ma façon d’être et d’appréhender le monde. J’ai appris là-bas que toutes les histoires peuvent être inspirantes. J’ai ensuite étudié la photographie à l’Université des Arts de Poznán, en Pologne. C’est là que j’ai rencontré Krystian.
Krystian Daszkowski : Pour ma part, j’ai étudié le journalisme et la photographie à Poznán. En plus de réaliser des séries ensemble, nous faisons partie d’une maison d’édition collective, Ostrøv. Nous publions des livres photo et nous essayons d’aider les artistes. Mon esthétique s’est développée naturellement. J’ai toujours aimé rencontrer des nouvelles personnes, et j’ai rapidement réalisé qu’il me fallait garder quelque chose de ces échanges, afin qu’ils ne s’effacent pas. Je suis, en quelque sorte, un collectionneur.
Comment abordez-vous la création photographique ?
Katarzyna : Mon travail se focalise sur les notions de mouvement et de destination. J’aime aussi envisager des solutions « impossibles » aux problèmes sociaux et politiques. Je m’inspire beaucoup d’images d’archives et de lectures parascientifiques. J’essaie en général de construire des récits autour de lieux et de communautés spécifiques. Mon approche en quelques mots ? Subjective et fictionnelle. Elle donne à voir une autre vision de la réalité.
Krystian : Je travaille à la fois dans la mode et sur des projets plus personnels, mais j’essaie toujours de personnaliser mes images. Être un photographe demande d’être responsable. Nous vivons dans une société où l’image est partout, aussi il est important de s’en servir avec prudence. Je me renseigne beaucoup – sur Internet, dans des bibliothèques ou même en rencontrant des gens. Pour moi, la photo est comme un haïku : elle est frappante et nous fait ressentir brusquement des émotions fortes.
Comment s’est passée cette collaboration ?
Travailler à deux est un exercice à la fois difficile et différent. Lors d’une collaboration, il faut expliquer à l’autre chaque vision d’une image. Il faut échanger, lors des shootings, mais aussi durant l’editing. C’est une succession de compromis… Et pourtant, lorsqu’on travaille seul, on manque d’un certain recul. Aussi, nous avions, à deux, un plus grand contrôle sur le résultat. Et puis, cela permet d’échanger avec quelqu’un d’aussi passionné que soi !
Pouvez-vous nous présenter votre série, It so happens that the world is not what it seems ?
Il s’agit d’un recueil de faits paranormaux. La seule preuve de l’existence des phénomènes représentés est dans l’esprit des gens qui les ont vécus. Nous avons pris le parti de croire tout ce que nous disaient nos interviewés. Ces personnes racontaient souvent des histoires tirées d’une période difficile de leurs vies. Nous avons donc supposé que ces événements étaient en fait une allégorie de leurs émotions.
La photographie est un art du réel, elle a longtemps été considérée comme un instrument de vérité. C’était donc le médium parfait pour ce projet, qui interroge l’existence d’autres dimensions. La série mélange des photos documentaires et des images d’archives.
Comment ce projet est-il né ?
Tout a commencé lorsque nous avons décidé d’aller voir une voyante. Nous étions lassés de ne pas avoir suffisamment d’argent pour financer notre maison d’édition. Nous lui avons demandé ce que nous réservait l’année 2018. Elle nous a répondu que nous allions publier un ouvrage loin de chez nous. Si nous ne l’avons pas pris au sérieux, nous avons commencé à rendre visite à d’autres voyantes, ainsi qu’à des témoins de phénomènes paranormaux. Nous avons alors réalisé que tout le monde croyait à une certaine magie – qui n’avait rien à voir avec la religion.
Vous jouez avec différents styles de documents et de nombreuses esthétiques. Pourquoi ?
Nous souhaitions montrer plusieurs choses : les portraits des personnes rencontrées, les endroits où les phénomènes ont eu lieu, les objets et symboles, et les photos d’archive. Nous voulions montrer la profondeur de ce « monde parallèle ». Le mélange d’images abstraites et documentaires fait osciller le regardeur entre magie et réalité.
De plus, comme ces images n’existaient que dans les souvenirs de ces personnes, les recréer était très difficile. Il nous fallait conserver l’essence de l’histoire et faire honneur à leurs souvenirs, sans aucune ligne directrice.
De nombreux symboles sont présents sur les photos, que représentent-ils ?
Parmi les symboles représentés, on retrouve par exemple cet étrange oiseau jaune. Il s’agit d’un œdicnème criard, utilisé pour soigner la jaunisse. Selon les légendes, si cet oiseau regarde un malade droit dans les yeux, celui-ci guérit soudainement. L’animal était, à l’époque, enfermé dans une cage, afin que personne ne puisse être soigné gratuitement.
Dans un autre cliché, on peut apercevoir un diamant. Celui-ci aurait le pouvoir de protéger son porteur des mauvaises énergies. L’une de nos rencontres était convaincue que ce diamant, porté à son cou, l’avait sauvée d’une crise cardiaque. Après son réveil, la pierre avait changé d’apparence.
Nous avons également photographié une tige de bouleau. Un hommage au récit d’une mère, qui avait sauvé sa fille à l’aide de la branche, à la manière d’une baguette magique.
Parmi les histoires que vous avez entendues, certaines se ressemblaient-elles ?
Les expériences surnaturelles étaient d’une part toutes connectées à des événements importants de leurs vies. Certaines anecdotes étaient semblables en effet. L’une d’entre elles a été reprise par différentes personnes, de tout âge, et habitant aux quatre coins de la Pologne. Elle était dédiée au Biesy (Démon, en français).
Le Biesy est une créature démoniaque et invisible, qui attire ses proies à l’aide de sa voix. Les légendes racontent qu’il vous entraîne hors de chez vous en vous charmant. Il vous guide alors dans une forêt, ou un marais. Nos interviewés nous ont raconté qu’ils l’avaient entendu et n’avaient pas pu résister à son appel. Leurs familles les ont retrouvés, perdus dans la nature, le lendemain matin.
© Katarzyna Wąsowska et Krystian Daszkowski