Paz Errázuriz raconte les vies en marge de la dictature chilienne

22 juin 2023   •  
Écrit par Costanza Spina
Paz Errázuriz raconte les vies en marge de la dictature chilienne
La Maison de l’Amérique latine présente Histoires inachevées, une rétrospective exceptionnelle de la photographe chilienne Paz Errázuriz. Par son travail, elle a célébré les vies en marge d’un Chili opprimé par vingt ans de dictature de Pinochet. Du 8 septembre au 20 décembre 2023.
Paz Errázuriz a été le regard des années sombres du régime de Pinochet au Chili. Née en 1944, elle a raconté en photographie la cruauté de la dictature, les vies mutilées par celle-ci, les rêves brisés d’une jeunesse qui a reversé dans la création sa fureur de vivre. Pour la première fois, une institution parisienne, la Maison de l’Amérique latine, lui consacre une rétrospective. Histoires inachevées est le récit du temps qui passe et de ces grandes histoires humaines que l’artiste ne parvient pas à clore dans ses séries. L’œuvre de Paz Errázuriz rejoint celle de bon nombre d’artistes ayant marqué cette période, qui s’est étalée du 11 septembre 1973 au 11 mars 1990. Ses photographies résonnent, en particulier, avec la littérature entrainante d’Isabelle Allende, faite de grandes fresques sociales, de personnages iconiques et mystérieux, dans un pays plongé dans le chaos. Ses portraits en noir et blanc semblent pourtant hors du temps, loin du désordre. Ils sont d’une grande pureté formelle et rendent honneur à celles et ceux que le régime persécute : des personnes LGBTQIA +, des travailleur·ses du sexe, des boxeur·ses, les membres de communautés autochtones marginalisé·es, des personnes atteintes de troubles mentaux. Autodidacte, la photographe est au plus près de l’expérience de la condition humaine : ses yeux sont débarrassés de tout formalisme classique et remplis d’une sensibilité narrative bouleversante. Ces portraits inoubliables nous parlent en métaphores de diktats sociaux, de l’invisibilité de certains groupes et d’une envie pressante de renverser les normes. « Mes débuts de photographe professionnelle correspondent à ceux de la dictature. La photographie m’a permis de m’exprimer à ma façon et de participer à la résistance, raconte Paz Errázuriz. C’est étrange de constater à quel point les périodes hostiles et dangereuses peuvent stimuler les artistes. Toute cette énergie créatrice s’exprime alors par la métaphore. C’était le cas au Chili, dans les années 1980. »
© Paz Errázuriz© Paz Errázuriz

Photographier les lieux hostiles à la vie

« Ce que je photographie est en relation avec les personnes qui ne sont pas au centre, mais au-dehors, toujours soumises au pouvoir » explique Paz Errázuriz. Son objectif se pose ainsi sur ces endroits hostiles à la vie, désertés par l’humanité et par le soin. Au sein même de la société chilienne, ces existences marginales sont invisibles et en permanence menacées. Le propre d’un régime fasciste, comme celui de Pinochet, est de mépriser la vie et de considérer que seules certaines personnes et certains corps méritent de survivre. Les modèles d’Errázuriz habitent alors ces zones où vivre est un défi permanent.

Un travail qui fait écho à la pensée de la sociologue étasunienne Judith Butler, qui dans ses études autour du genre parle des « vies mutilées », vécues à moitié, empêchées par des systèmes politiques profondément violents et normopathes. Dans la rétrospective Histoires inachevées à la Maison de l’Amérique latine, sont exposées une quinzaine de séries, parmi lesquelles Próceres (1988), Sepur Zarco (2020) et Ñuble (2019) ainsi que la série emblématique La Manzana de Adán réalisée entre 1982 et 1987. Son travail s’inscrit dans le temps long, ce qui lui permet de nouer des relations fortes avec ses modèles. Femmes et hommes posent fièrement, parfois s’abandonnent et donnent accès à une part de leur intimité en renouant avec une forme plus douce de l’existence. Encore aujourd’hui, la photographe parcourt son pays depuis Santiago jusqu’en Patagonie, et l’explorant avec exhaustivité et elle dresse un état des lieux puissant de ceux que la société regarde différemment. Récemment, elle a réalisé une série de portraits des femmes de Sepur Zarco, localité du Guatemala, toutes victimes (survivantes) en 1982 de la répression sanglante du pouvoir militaire et des violences exercées sur elles.

© Paz Errázuriz © Paz Errázuriz © Paz Errázuriz © Paz Errázuriz

 

© Paz Errázuriz

Explorez
Laura Menassa : Beyrouth comme corps et paysage
© Laura Menassa
Laura Menassa : Beyrouth comme corps et paysage
Entre journal intime visuel et témoignage collectif, le travail de Laura Menassa explore la fragilité et la résilience au cœur de...
Il y a 2 heures   •  
Écrit par Costanza Spina
Une danse entre la vie et la mort capturée par Oan Kim
Le coup de grâce lors d'une corrida à Madrid © Oan Kim/MYOP
Une danse entre la vie et la mort capturée par Oan Kim
À travers un noir et blanc contrasté, qui rappelle la chaleur sèche de l'Andalousie, Oan Kim, cofondateur de l'agence MYOP, montre...
27 octobre 2025   •  
Écrit par Milena III
Kiko et Mar : voyage dans les subcultures de Chine
If you want to come and see me, just let me know © Kiko et Mar
Kiko et Mar : voyage dans les subcultures de Chine
Fruit d’une résidence d’artiste en Chine, la série If you want to come and see me, just let me know, réalisée par le couple de...
24 octobre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
MP#06 : un mentorat pour accompagner la singularité
© Jennifer Carlos
MP#06 : un mentorat pour accompagner la singularité
Chaque année, le Fonds Régnier pour la Création et l’Agence VU’ unissent leurs forces pour donner naissance à un espace rare dans le...
22 octobre 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Laura Menassa : Beyrouth comme corps et paysage
© Laura Menassa
Laura Menassa : Beyrouth comme corps et paysage
Entre journal intime visuel et témoignage collectif, le travail de Laura Menassa explore la fragilité et la résilience au cœur de...
Il y a 2 heures   •  
Écrit par Costanza Spina
La sélection Instagram #531 : dans le brouillard
© Francesco Topino / Instagram
La sélection Instagram #531 : dans le brouillard
Le ciel s’assombrit, les températures chutent. La vision se brouille. Alors que l’automne nous enveloppe dans une brume quotidienne, les...
Il y a 7 heures   •  
Écrit par Marie Baranger
5 questions à Charlotte Abramow : le souvenir de Maurice
© Charlotte Abramow
5 questions à Charlotte Abramow : le souvenir de Maurice
Sept ans après la publication de son ouvrage Maurice, tristesse et rigolade, Charlotte Abramow rouvre les pages de l’histoire de son...
03 novembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Les coups de cœur #564 : Lycien-David Cséry et Ana da Silva
© Ana da Silva
Les coups de cœur #564 : Lycien-David Cséry et Ana da Silva
Lycien-David Cséry et Ana da Silva, nos coups de cœur de la semaine, prêtent attention aux détails. Le premier observe les objets et les...
03 novembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger