Jusqu’au 25 septembre, le Pavillon Populaire de Montpellier rend hommage à l’héritage laissé par l’illustre photographe Peter Lindbergh. Plus qu’une exposition de mode, Devenir revient sur le parcours de l’artiste par le prisme de sa personnalité.
« Cela devrait être de la responsabilité des photographes modernes de libérer les femmes, et finalement tout le monde, de la terreur de jeunesse et de la perfection »
, affirmait Peter Lindbergh. Tout au long de sa carrière, le photographe allemand – disparu en septembre 2019 – a défendu la vision d’une femme libre, charmante dans sa simplicité et non dans les chimères de l’artifice. Bien conscient des carcans qui les enserrent dans des diktats inatteignables, il assume son regard d’homme et le met au service de leur cause. Dans les années 1980, cette prise de position vis-à-vis de la mode et de la féminité qui en découle est alors loin de faire consensus. À contrecourant, l’artiste se fraye un autre chemin. L’un de ceux qui mènent vers l’acceptation d’une beauté brute, qui loue la fragilité de l’être spontané.
Loin d’être anodine, cette entreprise témoigne des convictions d’un artiste qui a résolument influencé le devenir de son médium. Bien nommée en de multiples aspects, la rétrospective du Pavillon Populaire de Montpellier s’attache à mettre en lumière le parcours de Peter Lindbergh à la lueur de sa personnalité. Un ensemble de 140 de ses tirages et vidéos s’entremêle ainsi à quelques effets personnels, disposés çà et là entre les portraits. Quelques citations ornent également les murs et des extraits de documentaires – également diffusés au cinéma Nestor Burma – viennent étayer le propos. Tous ces éléments pluriels se présentent alors comme autant de fragments de vie que d’indices de son passage derrière l’image. « Il s’agit d’une exposition presque métaphysique, qui se concentre sur l’évolution et l’avenir », assure la commissaire Tara Londi.
La nature imprécise de l’être vivant
À l’instar d’un voyage initiatique, les visiteurs sont invités à suivre les pas du photographe de mode. La première salle nous plonge ainsi dans les années 1980. Peter Lindbergh est encore étudiant en art et multiplie les errances entre son Allemagne natale, le sud de la France, le Maroc et l’Espagne. Là-bas, il découvre les clichés de Dorothea Lange et s’éprend des arts abstraits et conceptuels. Ce mélange d’influences lui inspire une poésie nouvelle, ancrée dans cette liberté de la forme et du mouvement qui le fascinait déjà dans le ballet russe. Il délaisse alors la recherche d’une perfection technique pour partir en quête de l’imperfection ou de la vérité des sujets qu’il capture. Pour ce faire, il développe, au fil du temps, une relation de proximité avec ses modèles. Un climat de confiance s’installe et les encourage à se dévoiler davantage, sinon à se révéler tout à fait.
À l’image, le maquillage est léger, voire inexistant. Refusant la retouche excessive, Peter Lindbergh ne cherche pas à dissimuler les rides et autres aspérités de la peau. Aux modèles figés sur papier glacé, il préfère la nature imprécise de l’être vivant qui affirme sa condition humaine d’un regard frontal qui ne faiblit pas. La vulnérabilité assumée se transforme en une force éloquente qui participe à redéfinir les standards de beauté alors en vigueur. Les femmes ne sont plus de simples mannequins, au sens premier du terme, placés arbitrairement au cœur de compositions étudiées. Elles deviennent des sujets actifs qui transmettent des récits qu’elles incarnent résolument, et Peter Lindbergh devient l’instigateur de la narration dans la photographie de mode.
Dans les moindres clichés de l’artiste, un dialogue s’opère finalement avec celui ou celle qui contemple les images. Il le confronte à d’autres réalités, sublimées dans des monochromes à la lumière douce et diffuse. Toujours d’actualité, elles ne peuvent nous laisser insensibles. L’intérêt ne réside plus dans l’apparence du geste gracile, mais dans la dimension intemporelle de ce qui l’anime et le motive. « On ne peut vraiment inventer quelque chose que si on se connecte au monde réel, quoi que cela signifie », déclarait justement le photographe. C’est cet indéniable avant-gardisme qui contribuera à inscrire le nom de Peter Lindbergh en lettres capitale dans l’histoire du 8e art.
© Peter Lindbergh