Dans l’obscurité feutrée de la chambre noire, Philippine Schaefer laisse ses mains, son corps et ses intuitions tracer des images à la frontière du réel et de l’imaginaire. Entre rituel intime et geste performatif, ses photogrammes captent le frisson du vivant, la fragilité de la chair et la magie de la lumière.
Née en Allemagne en 1970 et arrivée à Paris à 21 ans pour « respirer l’art et étudier à l’École des beaux-arts », Philippine Schaefer n’a jamais cessé d’explorer les langages du corps. Dans un premier temps, la photographie s’est imposée à elle comme un outil permettant de garder des traces de ses performances, installations et sculptures. Puis, elle découvre rapidement le charme du photogramme, ce procédé consistant à obtenir une image sans appareil photo, uniquement grâce à la lumière et à une surface photosensible. « Dans la chambre noire, les sens s’inversent, c’est une magie toute particulière, tout y est possible et en devenir. C’est une grotte animée d’ombres », explique l’artiste. Tout a commencé par hasard, en laissant une paire de ciseaux dans cet espace clos. Pour elle, l’empreinte évoque le toucher de l’argile et la précision du tatouage qu’elle pratique depuis près de trente ans. « Les nuits blanches rejoignent les jours noirs. La chambre noire est une tentation de s’approcher du mystère de la vie, voir apparaitre la lumière, puis l’image », déclare Philippine Schaefer.
Du corps à la lumière
Son univers oscille entre le réel et l’imaginaire, sur une frontière qu’elle qualifie de « glissante, poreuse », où le corps humain, point d’ancrage de son univers, se transforme en paysage mouvant. Elle précise : « La photographie est le miroir qui permet de glisser d’un monde à l’autre. Des mondes imbriqués comme des poupées russes à l’infini… » Tantôt animal, tantôt végétal, le corps échappe ici aux représentations préconçues. Elle tourne autour, le tord, le dissout, le fait renaître. « J’adore provoquer et casser nos stéréotypes, en douceur si possible », souligne-t-elle. Philippine Schaefer joue autant avec la couleur qu’avec la texture. Elle aime le noir et blanc qui lui permet de réaliser des petits formats bricolés dans l’intimité de sa salle de bain. Quant aux couleurs vives, elles sont réservées aux grands formats lui offrant la possibilité d’envelopper la figure humaine dans son entièreté. Chaque séance devient une performance à part entière. « J’entre dans un état de transe. J’en sors lessivée », confie l’artiste. Aujourd’hui, ses photogrammes quittent le papier pour habiller des corps. En effet, elle imprime son travail sur textile, créant des vêtements comme de secondes peaux, « une mue » où l’image retrouve une fluidité sans pareil. Car tout, dans l’œuvre de Philippine Schaefer, semble parler de métamorphose – celle du corps, de la lumière et du regard.