Réhabiliter les femmes artistes effacées de nos livres d’histoire, voilà tout l’enjeu de Resurface I & II. Cette série signée de l’artiste allemande Johanna Reich est présentée dans le cadre du festival PhotoSaintGermain, à Paris, jusqu’au 23 novembre. Révélation d’un travail au long cours, sensible et nécessaire. Cet article, rédigé par Gwénaëlle Fliti, est à retrouver dans notre dernier numéro.
Corinne Michelle West, Thalia Flora Karavia ou Julia Margaret Cameron: ces noms vous parlent ? Non, il ne s’agit pas des dernières instagrameuses à la mode, mais bien de femmes artistes ayant eu de leur vivant, aux XIXe et XXe siècles, une grande influence sur leurs contemporains. Vous ne voyez toujours pas ? C’est normal, elles ont, au fil du temps, étrangement disparu de l’histoire officielle de l’art. Celle qui s’est donné pour mission de leur redonner leurs lettres de noblesse, c’est Johanna Reich, artiste allemande de 42 ans, dont le travail s’articule autour de l’ère numérique, de l’identité, de la mémoire et du féminisme. À l’instar de la peintre française Marie Morel et de son œuvre, Les Femmes des siècles passés, ou de la dessinatrice Pénélope Bagieu, à l’origine de la célèbre bande dessinée Culottées, Johanna Reich s’évertue, elle aussi, avec Resurface I & II, à remettre en lumière les oubliées de l’histoire.
« Lorsque j’étais étudiante à l’Académie des beaux-arts [à Münster, en Allemagne], se souvient-elle, je pensais que nous étions toutes et tous égaux. Ce n’est que plus tard, lorsque je suis devenue une artiste, que j’ai réalisé à quel point c’était faux. Dès lors, j’ai commencé à fouiller le passé. En rouvrant mes livres d’histoire de l’art, j’ai remarqué que pour mille artistes masculins, il n’y avait que cinq femmes. » Partant de ce triste constat, Johanna Reich décide d’approfondir ses recherches. C’était il y a dix ans. Durant cette période, elle s’est rendue à Washington et à Berlin pour consulter les archives des musées. Son enquête l’a aussi conduite à Londres, au Victoria and Albert Museum. Elle y a découvert la portraitiste britannique Julia Margaret Cameron, décédée en 1879, connue de la scène photographique, mais peu du grand public. « N’étaient accrochées que deux ou trois de ses œuvres. Ce n’était pas assez pour une artiste aussi extraordinaire », a pensé Johanna Reich. Et c’est ainsi qu’elle a commencé à collecter les portraits des plus talentueuses peintres, sculptrices, cinéastes et femmes photographes de ces deux derniers siècles.
Corinne Michelle West par © Johanna Reich / Courtesy Priska Pasquer Gallery 2019
Des Polaroids pour réécrire l’histoire
Resurface I & II
– sa série exposée au festival PhotoSaintGermain du 6 au 23 novembre – rassemble les travaux de plus de 400 femmes artistes. La première partie se compose d’un film de trois heures qui présente 160 Polaroids dévoilant les visages de celles qui sont passées à la trappe de l’histoire. Pour la seconde partie, centrée sur les artistes plus connues mais sous-exposées, il s’agit de portraits tirés en grand format, tous issus de Polaroids scannés au premier stade de leur développement – au moment où les contours émergent, à l’orée de leur révélation, entre présence et absence. Un jeu subtil entre numérique et analogique, dans lequel Johanna aime évoluer. Son travail se prolonge par la création du profil Wikipédia de chacune des artistes qu’elle présente.
Une mission fastidieuse que l’Allemande mène à bien avec le concours d’expertes, de chercheuses et de chercheurs. La présence progressive de ces femmes artistes, jusqu’alors tout aussi sous-exposées sur le web, esquisse un autre paysage de l’art des XIXe et XXe siècles que celui enseigné depuis des décennies. Johanna est « fascinée » par l’idée que le monde est différent de celui que nous pouvions imaginer. « Quand je regardais en arrière, en tant qu’artiste féminine, je n’avais pas d’histoire, lâche-t-elle. Il n’y avait qu’une histoire masculine avec des artistes – certes merveilleux – comme Picasso ou Monet. J’ai été soulagée d’apprendre que nous avions aussi beaucoup de femmes artistes – et pas uniquement Frida Kahlo ! » Les mettre ainsi en ligne pour « réécrire l’histoire » lui permet de « changer le monde » en tentant d’en créer un plus équitable pour « en tirer quelque chose de positif ».
Cet article est à retrouver dans son intégralité dans Fisheye #39, en kiosque et disponible ici.
Du 6 au 23 novembre 2019
Resurface I & II, festival PhotoSaintGermain
L’agence à Paris , 54 rue Mazarine, à Paris (6e)
à g. Marie Bracquemont, à d. Julia Margaret Cameron par © Johanna Reich / Courtesy Priska Pasquer Gallery 2019