Anton Polyakov, 27 ans, vit et travaille en Transnistrie − une république autoproclamée, séparatiste de la Moldavie et située le long de la frontière entre la Moldavie et l’Ukraine. Entre 2012 et 2017, il documente le quotidien d’habitants bien « réels » et en quête de repères. Pour Fisheye, il revient sur sa série Tansnistria Conglomerat.
Fisheye : Quand et comment as-tu découvert la photo ?
Anton Polyakov : Je me suis intéressé à la photographie documentaire en 2013. J’ai découvert le médium grâce à un atelier qui s’est tenu à Chisinau, en Moldavie, car il y a très peu d’établissements enseignant la photographie en Transnistrie. Là-bas, j’ai rencontré des photographes et nous avons échangé sur mon travail. J’ai poursuivi mon apprentissage sur Internet.
Que représente la photographie pour toi ?
La photographie me permet de voir de nouveaux endroits et de nouvelles personnes qui sont comme mes guides. Certaines rencontres se transforment en histoires et me permettent de mieux connaître mon pays. La photo m’amène à m’interroger sur moi-même aussi. Quelle est ma nationalité ? Qui seront mes enfants ? Si la Transnistrie est un point d’entrée dans mon travail, j’essaye de voir plus large.
As-tu développé une approche photographique spécifique ?
Pour moi, à chaque projet nécessite une nouvelle approche photographique. Je n’aime pas me résoudre à un style unique. À l’origine de chacun de mes projets, je définis des points clés sur lesquels m’appuyer. Que vais-je raconter ? Quelles questions soulever ? J’arrête ce qui est le plus important pour moi. Actuellement, je m’intéresse à la mémoire. La mémoire historique comme la mémoire culturelle. Je m’intéresse aussi à la jeunesse. J’aime documenter la nouvelle génération née après l’effondrement de l’Union soviétique. À qui et à quoi s’identifient-ils ? Que doivent-ils affronter dans leur vie quotidienne ? Je m’interroge sur tout cela.
Quelle est l’histoire de ta série, Tansnistria Conglomerat ?
Je veux montrer la vie des gens ici, en Transnistrie à travers différentes époques. Comment vivent-ils sur cette étroite bande de terre s’étirant le long de la rive gauche de la rivière Dniester longue de 200 km et large de 30 km. Pour certains, la Transnistrie n’est que la continuité de l’Union soviétique et pour d’autres, comme moi, c’est un nouveau pays. On dit souvent que la Transnistrie est un « pays qui n’existe pas ». Pourtant, il y a des gens réels qui vivent ici et qui se sont adaptés à la situation géopolitique. Transnistria Conglomerat se compose de deux chapitres. J’ai essayé d’illustrer le mode de vie d’un habitant de Transnistrie selon mon histoire personnelle et des archives familiales. Aussi, j’ai souhaité refléter le multiculturalisme de la région. Car de nombreuses nationalités se concentrent ici, c’est une grande particularité. Ce territoire était autrefois habité par différents peuples (Allemands, Arméniens, Polonais, Bulgares…). Aujourd’hui, ce territoire est un mélange de cultures et de traditions. Ma mère est originaire de Sibérie, mon père d’un village en Ukraine, et moi je suis né dans un nouveau pays. Et à l’âge de 16 ans j’ai reçu un passeport transnistrien.
Des sources d’inspirations particulières ?
Je découvre constamment de nouveaux noms dans le monde de l’art contemporain. Par exemple, ce n’est que récemment que j’ai découvert l’œuvre de Christian Boltanski. J’ai beaucoup appris de son travail sur la mémoire. Aussi, je me suis inspiré d’un livre reçu de ma grand-mère. Un ouvrage dans lequel des photographes soviétiques ont essayé de documenter la vie quotidienne des habitants de Tiraspol à l’époque soviétique. J’ai pu grâce à lui me téléreporter et me plonger dans une époque lointaine.
Et un souvenir particulièrement marquant ?
Chacune des rencontres a eu un impact sur moi. Mais il y a eu un souvenir puissant, un habitant d’Hrushka, un petit village au nord de la Transnistrie. Lorsqu’il était enfant, sa mère s’est noyée dans la rivière Dniester et a donc grandi avec son père et sa sœur. Comme il n’y a pas assez de travail dans le village, il a dû effectuer très tôt les tâches ménagères, remplaçant son père parti travaillé dans un pays voisin. J’ai trouvé à travers cette rencontre un nouveau sujet que je réalise actuellement avec ma collègue Anna Galatonova.
Qu’as-tu appris en réalisant cette série ?
En plus de comprendre davantage la région dans laquelle je suis né et dans laquelle je vis. J’ai noué de véritables liens au territoire. Et malgré toutes les difficultés et les problèmes qui existent ici, je pense que j’ai eu de la chance d’être né ici.
© Anton Polyakov