À l’occasion du Paris Gallery Weekend, la Galerie Thierry Bigaignon présente, jusqu’au 31 mai 2025, une exposition personnelle de Thomas Paquet, photographe dont le travail interroge les fondements du médium à travers une approche expérimentale exigeante. Une réflexion qui place la lumière, le temps et l’espace au centre du processus de création.
Depuis plusieurs années, Thomas Paquet détourne les outils de la photographie et se libère des dispositifs industriels. Il développe une pratique construite autour de protocoles visuels, dans une volonté de réinterroger les fondements mêmes du geste photographique. En 2023, il initie une nouvelle série à l’occasion du prix Picto Lab / Expérimenter l’Image, avec l’intention de revisiter les usages de la chambre noire. Il propose alors un projet basé sur la projection, non plus sur des plans parallèles, comme dans la tradition photographique, mais sur des plans inclinés, cylindriques ou fragmentés. Ce décalage physique génère un vocabulaire visuel construit à partir de formes simples, d’interférences lumineuses et de variations chromatiques.
Pour la série des Grands Dégradés chaque œuvre résulte d’une projection de lumière sur du papier argentique. Plus le papier est proche de la source, plus l’exposition est forte, faisant apparaître progressivement la couleur. Ces dégradés subtils sont accentués par l’inclinaison du papier dans le cadre, pensé pour rejouer une profondeur spatiale. Les couleurs primaires cyan, magenta et jaune sont déclinées dans une série de variations, parfois pensées comme des gammes musicales. Quant aux Vignettages, ils prennent des formes de cercles lumineux, presque solaires. L’accrochage souligne cette construction : espacements irréguliers, rythme visuel, ponctuations et vides qui deviennent eux aussi des éléments d’image.
Thomas Paquet nous propose aussi une série, Prismes présentée dans des vitrines comme une collection d’objets scientifiques. Le dispositif repose sur un prisme optique utilisé pour diffracter la lumière du soleil. Le spectre ainsi obtenu est photographié par l’artiste, puis intégré directement dans l’installation. Il ne s’agit pas d’une simulation, mais d’une image recomposée à partir d’une lumière réelle, retravaillée pour créer un glissement entre perception scientifique et illusion visuelle.
Provoquer des sensations physiques
Les visiteur·ses évoquent régulièrement des sensations physiques : vertige, vibration, profondeur. Nombreux·ses sont celles et ceux qui ne perçoivent pas ce travail comme relevant de la photographie au sens classique. Et c’est justement ce déplacement que l’artiste recherche. « Travailler avec peu de moyens, imposer une économie de gestes, refuser les effets pour laisser apparaître une tension interne à l’image, entre structure et fragilité », partage Thomas Paquet.
La Galerie Thierry Bigaignon offre une configuration particulière, pensée comme un parcours. Une salle d’exposition principale, une librairie attenante et une « réserve » partiellement visible, dans laquelle sont présentées quelques pièces supplémentaires de Thomas Paquet, que d’autres créateur·ices représenté·es par la galerie. Ce dispositif scénographique renforce la sensation de circulation et de respiration. Il permet aux exposant·es de densifier leur propos tout en proposant une lecture progressive du travail.
Une photographie qui s’assume
Pour Thierry Bigaignon, propriétaire de la galerie, le travail de Thomas Paquet s’inscrit pleinement dans la ligne défendue : une photographie qui sort du cadre figé et qui assume sa place au sein de l’art contemporain.
« La photographie entre enfin dans sa maturité, explique le galeriste. Elle se détache de ses carcans techniques, de ce que j’appelle sa pseudo-dictature industrielle. Elle devient un médium libre. » Cette approche assume la matérialité, la technique, le protocole, tout en les mettant au service d’une expérience sensible. Le geste photographique, ici, ne cherche pas à documenter le réel, mais à le recomposer. En prévision du bicentenaire de l’invention du médium, la galerie prépare une exposition collective avec l’ensemble de ses artistes, prévue en novembre. Le titre reste à définir. L’intention, elle, est claire : proposer un état des lieux d’une photographie vivante, en mouvement, capable de penser sa propre histoire et de la prolonger.