Topographies sensibles : la magie comme pratique politique

17 janvier 2023   •  
Écrit par Costanza Spina
Topographies sensibles : la magie comme pratique politique
L’exposition Topographies sensibles Hors les murs du Centre Wallonie-Bruxelles présentée à la Galerie Talmart réunit, jusqu’au 12 février, six photographes qui repensent notre façon d’habiter l’urbain et nous rapprochent de l’environnement. Chacun·e bâtit un nouveau récit du réel afin d’imaginer un monde d’après, en se servant de la magie comme arme politique.
Présentant les récits photographiques de Téo Becher & Solal Israel, Bertrand Cavalier, Lucas Castel & Mathilde Mahoudeau et Alice Pallot, l’exposition Topographies sensibles s’inscrit dans le programme Trouble-Fête#Cosmogonies spéculatives, présentée à la Galerie Talmart et proposé par le Centre Wallonie-Bruxelles. L’événement entend donner la voix à des artistes qui racontent des mondes nouveaux. Une plongée dans des utopies réalistes, interrogeant notre rapport à l’environnement et promouvant des récits différents capables de modifier la réalité – à l’image de celle que la philosophe américaine Starhawk définissait de « magie politique ». Selon l’autrice écoféministe, la pensée et la pratique de la magie, entendue comme une série de rituels communautaires, permet de faire advenir le changement politique. En canalisant nos énergies communes, nous pouvons ainsi nous emparer des utopies afin de sortir du pessimisme immobilisant propre à notre époque. A l’ère de l’Anthropocène et du Capitalocène, ces photographes se penchent sur la question de l’habitabilité et du faire commun. Face à la spoliation de la nature, au saccage des écosystèmes par les pratiques industrielles extractivistes, face aux écocides, l’exposition nous invite à répondre à une question essentielle : quelle humanité voulons-nous être ? Allons-nous passivement accepter le destin que le capitalisme a réservé à notre génération ou parviendrons-nous à modifier le réel par la force de récits et d’imaginaires nouveaux ?

Alice Pallot

© Alice Pallot

Ouvrir des voies de réenchantement du monde

Dans les années 1970 et 1980, Starhawk se battait avec ses sœurs écoféministes pour que le gouvernement américain cesse le saccage de la nature au profit de la construction, entre autres, de centrales nucléaires. Dans son chef-d’œuvre Rêver l’obscur, la philosophe racontait la lutte victorieuse pour saboter la construction de la centrale de Diablo Canyon. Par une occupation pacifique du territoire et la pratique de rituels communautaires – comme celui de la danse à spirale, nourri par des croyances néopaganes – les manifestantes avaient réussi à dissuader les autorités. Un exemple parmi tant d’autres de pratique magique du politique.

Dans une époque, l’Antropocène, où la dystopie est le seul récit réservé à notre génération, les photographes de l’exposition Topographies sensibles proposent de réhabiliter l’utopie en tant que projetation active d’un monde nouveau. Loin d’être un plan sur la comète, cette notion est essentielle à la formulation d’une vision commune et à la mise en place de structures sociétales nouvelles. Ces artistes nous invitent ainsi à regarder subtilement l’environnement, en dévoilant des réalités cachées. Nous découvrons ainsi le désert belge de Lommel, photographié par Alice Pallot, une zone polluée mais résiliente. Lucas Castel dévoile quant à lui la fragile beauté des villages sinistrés des Pyrénées, tandis que Bertrand Cavalier mène une réflexion sur la péremption et les restes laissés par l’urbain désastré. Téo Becher & Solal Israel, enfin, dévoilent des visions fantasmagoriques de la nature en capturant les souvenirs de personnes frappées par la foudre. « En révélant la portée et les incertitudes de nos milieux de vie, en évoquant des formes possibles de résilience, en mettant en exergue une relation d’interdépendance entre le paysage et l’activité humaine plutôt que d’opposition, et par leur traitement poétique des images, par leur engagement dans le présent, les photographes exposé.es contribuent à ouvrir des voies possibles de réenchantement du monde, à façonner des futurs plus propices à la vie, à renouer les alliances et coopérations entre les vivants », conclut Ariane Skoda, curatrice de l’événement.

Alice PallotBertrand Cavalier

© à g. Alice Pallot, à d. Bertrand Cavalier

Lucas Castel & Mathilde MahoudeauLucas Castel & Mathilde Mahoudeau

© Lucas Castel & Mathilde Mahoudeau

Théo Bécher & Solal IsraëlThéo Bécher & Solal Israël

© Téo Bécher & Solal Israël

Image d’ouverture : © Alice Pallot

Explorez
Caroline Sohie : « La beauté des images n’est pas sans conséquence, elle a un poids »
© Caroline Sohie
Caroline Sohie : « La beauté des images n’est pas sans conséquence, elle a un poids »
Autrefois carrefour de la traite et du commerce colonial, Bagamoyo, sur la côte tanzanienne, juste en face de Zanzibar, est aujourd’hui...
21 juin 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Raymond Depardon, l’éloge du passage
© Raymond Depardon
Raymond Depardon, l’éloge du passage
La Galerie Magnum présente Raymond Depardon : Passages, une rétrospective visible jusqu'au 26 juillet 2025. À travers une...
18 juin 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
Le palmarès du prix Picto de la Mode 2025 : la mode au croisement des enjeux contemporains
Symbiose © Arash Khaksari
Le palmarès du prix Picto de la Mode 2025 : la mode au croisement des enjeux contemporains
À l’occasion de la 27e édition du prix Picto de la Photographie de Mode, la cour du Palais Galliera s’est transformée en un lieu...
16 juin 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Alex Bex révèle la sensibilité des cowboys texans
Intermission (Big Foot, Texas), de la série Memories of Dust © Alex Bex, France, 3rd Place, Professional competition, Documentary Projects, Sony World Photography Awards 2025.
Alex Bex révèle la sensibilité des cowboys texans
Avec sa série Memories of Dust, le photographe franco-texan Alex Bex ébranle les codes de la masculinité dans les ranchs de cowboys au...
13 juin 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Les images de la semaine du 16 juin 2025 : expositions, mode et esthétique variées
Entrelacs © Manon Bailo
Les images de la semaine du 16 juin 2025 : expositions, mode et esthétique variées
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, les pages de Fisheye ont été façonnées par des expositions en cours ou à venir, la remise du prix...
22 juin 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Caroline Sohie : « La beauté des images n’est pas sans conséquence, elle a un poids »
© Caroline Sohie
Caroline Sohie : « La beauté des images n’est pas sans conséquence, elle a un poids »
Autrefois carrefour de la traite et du commerce colonial, Bagamoyo, sur la côte tanzanienne, juste en face de Zanzibar, est aujourd’hui...
21 juin 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Isabel Muñoz à Portrait(s) : le corps en majesté
© Isabel Muñoz
Isabel Muñoz à Portrait(s) : le corps en majesté
Jusqu'au 28 septembre 2025, le festival Portrait(s) accueille une rétrospective d’Isabel Muñoz, grande figure de la photographie...
20 juin 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
23 séries de photographies qui prennent vie en musique
Les membres originaux du groupe Oasis, Japon, 1994 © Dennis Morris
23 séries de photographies qui prennent vie en musique
En ce premier jour de l’été, partout en France, la musique est à l’honneur. À cet effet, nous vous avons sélectionné une série de...
20 juin 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine