En cette journée mondiale de l’argentique, nous vous proposons de redécouvrir un joli travail présenté, il y a trois ans, sur notre site. Photographe de l’agence Signatures, Arno Brignon a réalisé entre 2009 et 2015 la série Joséphine, dont sa fille unique est le personnage principal. Le témoignage touchant d’un père de famille. Presque un joli conte, comme il l’explique à Fisheye.
Fisheye : Pourquoi es-tu devenu photographe ?
Arno Brignon : Mon histoire d’amour avec la photo a débuté en 2002. J’habitais alors à Toulouse et mon appartement faisait face à la Galerie du Château d’Eau, dont j’ai poussé la porte, un jour, un peu par hasard. J’y ai découvert les photos de Klavdij Sluban et ce fut une révélation. En 2005, je me suis inscrit aux ateliers photo Saint-Cyprien, à Toulouse, puis j’ai dévoré les ouvrages de la bibliothèque du Château d’Eau. J’y ai découvert, cette fois, les travaux d’Ackerman, de Robert Frank, de Dolores Marat… Autant d’auteurs ont été mes premières influences. Et j’ai commencé à photographier mon quotidien. La photographie prenait tellement de place que j’ai décidé de m’arrêter de travailler pour suivre pendant un an des cours à l’École de Photographie et de Game Design de Toulouse. Cette année-là fut aussi celle de la naissance de Joséphine. Une semaine après la rentrée, j’ai su que je ne reprendrais pas mon travail d’éducateur. Je voulais être photographe.
Que raconte ta série Joséphine ? Qu’as-tu cherché à exprimer à travers elle ?
Cette série évoque bien notre histoire de famille à Joséphine, ma compagne Caroline, et moi. Surtout, c’est aussi un autoportrait en creux. J’y raconte mes doutes, mes peurs, mes joies, mes questionnements de père au travers d’une vie de famille fantasmée. Car même si je nous photographie, ce travail s’inscrit bien plus dans la fiction que dans le réel. C’est un conte dont nous sommes les personnages.
Comment réfléchis-tu tes prises de vues ?
Je ne sais pas si je réfléchis encore beaucoup aujourd’hui avant la prise de vue… Je shoote de manière très spontanée, le temps de la réflexion vient plutôt au moment de l’éditing. C’est un moment important car c’est là que se crée la narration, une histoire. Comme « Joséphine » est une série sur le long terme, j’ai commencé à faire poser Joséphine ou Caroline. C’était nouveau pour moi. Jusqu’alors, je n’avais pas expérimenté la mise en scène dans mon travail. Au bout d’un moment, je cherchais tellement à provoquer des situations, qu’il n’y a plus eu de spontanéité. Je ne faisais plus de photos de famille mais que des photos pour la série…
Tu évoques sur ton site la construction « d’un paradis imaginaire », la réalité ne suffisait pas ?
En fait, c’est la question du réel et de la fiction en photographie. Ce travail ne doit pas se voir comme un reportage sur ma vie mais comme une histoire que je raconte ; la création d’un imaginaire. La construction de ce « paradis » était aussi une façon de faire écran à mes doutes et à mes peurs en tant que père.
Pourquoi as-tu décidé d’arrêter cette série ?
Parce que j’avais perdu cette spontanéité. Et dans le même temps, le procédé couleur m’enfermait un peu. J’ai eu besoin de retrouver cette liberté de prise de vue du début. J’ai un regard trop « photographique » sur ma famille. J’ai besoin de retrouver ce temps de maturation, de prendre de la distance par rapport à mes images pour y revenir sûrement plus tard. Joséphine a grandi, notre relation a changé. Je veux laisser les photos parler de ce changement et ne pas trop le provoquer. Peut-être que dans quelques années, en me penchant sur les photos que je fais aujourd’hui, je compléterai. Ou peut-être qu’une nouvelle série autour de l’intime verra le jour. Cette été j’ai ouvert un compte Instagram, où je postais mes photos de vacances. J’ai été surpris par les retours: c’est peut être une piste pour poursuivre ce travail.
Encore sur ton site, tu évoques des « peurs ». La photographie t’a-t-elle aidé à te rassurer ?
Non, d’ailleurs, ce n’était pas le but. Mais être père c’est aussi apprendre à vivre avec ses peurs et ses doutes. Certaines peurs ont disparu, d’autres apparaissent et ce n’est certainement pas fini.
Propos recueillis par Marie Moglia.
Images extraites de la série Joséphine © Arno Brignon