Une ode à la lumière nordique

18 octobre 2018   •  
Écrit par Maria Teresa Neira
Une ode à la lumière nordique

MuMA Le Havre accueille jusqu’au 27 janvier Still, une exposition qui conjugue les séries Interiors et Guldnakke, réalisées par la photographe danoise Trine Søndergaard. Un projet faisant partie du cycle « Lumières Nordiques », un parcours photographique présentant des artistes scandinaves en Normandie.

Still

est un dialogue entre deux séries de photographies, Interiors et Guldnakke. Si elles évoquent en apparence des sujets très différents, elles sont toutes deux réalisées au format carré – avec un Bronica moyen format – à la lumière naturelle. Le tableau de Vilhelm Hammershøi, maître de la lumière nordique dont l’œuvre a inspiré l’artiste danoise, marque le point de départ. Son œuvre Strandgade (1904) donne un aperçu d’une pièce vide et sombre.

Vilhelm HAMMERSHØI, “Intérieur”, StrandgadeDonation Philippe Meyer, 2000.
© RMN-Grand-Palais (musée d’Orsay) / Adrien Didierjean

Lumière et temps suspendu

Les images de Trine Søndergaard ont été réalisées à la lumière naturelle, dans des pièces intérieures. Dans ses sériesTrine capture la lumière tamisée des journées nuageuses et crée une palette de couleurs, du gris au doré. Pour Interiors, elle a photographié durant 4 ans des manoirs danois du 19esiècle abandonnés. Guldnakke se compose d’une série de portraits de femmes de dos et portant des coiffes brodées en or, empruntées dans le même musée (Furesø Museer, à Farum au Danemark) où s’est tenu le shooting. « J’observe toujours la lumière qui m’entoure et je suis mon intuition. J’aime shooter à la lumière blanche et diffuse des jours gris. Les reflets poussiéreux et le doré vieilli des coiffes m’ont particulièrement inspiré ». Telle est sa vision de la lumière nordique.

Présentées les unes en face des autres, les deux séries instaurent un dialogue entre le passé et le présent. Dans Guldnakke, les figures féminines apparaissent depuis un fond gris, dénuées de leurs ombres. Le visiteur a pour seuls repères temporels la coiffe du 19ᵉ siècle et les habits contemporains. Statiques, ces femmes sont immortalisées dans un jeu d’anachronismes. Tandis que devant les clichés d’Interior, le spectateur se trouve dans un état de contemplation et de quiétude, « en attendant que quelque chose se passe », précise Trine. Le temps semble flotter comme la poussière dans ces pièces vides depuis plus de 50 ans.

© Trine Søndergaard © ADAGP Courtesy Martin Asbæk Gallery, Copenhague & Bruce Silverstein Gallery, New-York.© Trine Søndergaard © ADAGP Courtesy Martin Asbæk Gallery, Copenhague & Bruce Silverstein Gallery, New-York.

à g. Interior #4, 2010, à d. Interior #2, 2008 © Trine Søndergaard / Courtesy Martin Asbæk Gallery, Copenhague

Still, entre suggestion et silence

« There is a crack in everything, that’s how the light gets in » (« il y a toujours une fissure par laquelle la lumière peut passer », en français). 

Ces paroles signées Leonard Cohen résonnent devant les photos de Trine Søndergaard. Laissant toujours une porte ouverte à l’imagination, à une recherche du non visible, ses images suggèrent plus qu’elles ne montrent. Trine demeure persuadée qu’il y a toujours une histoire à raconter et que ce sont les détails très subtils, comme une simple fenêtre, un accessoire ou une épaule en légère torsion, qui constituent la porte d’entrée d’un monde plus vaste, au-delà des apparences. Elle aime installer le secret, et inviter le spectateur à se poser, contempler et réfléchir.

Dans une société où règne le bruit des images, Still constitue un havre de paix. C’est entre autres pour cela qu’elle recourt au format carré, rendant les photos statiques et contraignant la photographe à réaliser des prises de vues plus exigeantes. Trine compose des photos “méditatives” et minimalistes, silencieuses à première vue,  mais très expressives sur le fond. Finalement, son œuvre ne représente plus un simple miroir de la réalité, mais le reflet d’une quête personnelle : trouver un équilibre dans un monde saturé d’images. Still est un jeu subtil avec le temps et la lumière nordique. Ne serait-ce pas l’essence même de la photographie que de fixer le temps avec la lumière ?

 

Still sera exposée au MuMA Le Havre jusqu’au 27 janvier et sera ensuite accueillie à la Maison du Danemark, Paris, en 2019.

 

Guldnakke #2, 2012. © Trine Søndergaard / Courtesy Martin Asbæk Gallery, Copenhague

© Trine Søndergaard © ADAGP Courtesy Martin Asbæk Gallery, Copenhague & Bruce Silverstein Gallery, New-York.© Trine Søndergaard © ADAGP, Paris, 2018

à g. Guldnakke #8, 2012, à d. Guldnakke #4, 2012. © Trine Søndergaard / Courtesy Martin Asbæk Gallery, Copenhague

Interior #10, 2010. © Trine Søndergaard / Courtesy Martin Asbæk Gallery, Copenhague

Explorez
Nan Goldin, lauréate du prix Women in Motion 2025, présente Syndrome de Stendhal
Jeune amour, 2024 © Nan Goldin. Avec l’aimable autorisation de l’artiste / Gagosian.
Nan Goldin, lauréate du prix Women in Motion 2025, présente Syndrome de Stendhal
Ce mardi 8 juillet, Nan Goldin a reçu le prix Women in Motion au Théâtre Antique d’Arles, qui affichait complet. À cette occasion...
11 juillet 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Erica Lennard : « L'amitié féminine était une réalité que nous vivions pleinement »
Elizabeth, Californie, printemps 1970. © Erica Lennard. Avec l’aimable autorisation de l’artiste / La Galerie Rouge.
Erica Lennard : « L’amitié féminine était une réalité que nous vivions pleinement »
Erica Lennard présente Les Femmes, les Sœurs à l’espace Van Gogh dans le cadre de la 56e édition des Rencontres d’Arles. L’exposition est...
11 juillet 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Les coups de cœur #549 : Ainhoa Ezkurra Cabello et Bérangère Portella
Andrea © Ainhoa Ezkurra Cabello
Les coups de cœur #549 : Ainhoa Ezkurra Cabello et Bérangère Portella
Ainhoa Ezkurra Cabello et Bérangère Portella, nos coups de cœur de la semaine, saisissent l’intime, les corps et les relations aux...
07 juillet 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Nous autres, une ode à l'amitié et à la mémoire queer
Autoportrait avec JEB, E. 9th Street, New York, 1970 © Donna Gottschalk, Courtesy de l’artiste et de Marcelle Alix
Nous autres, une ode à l’amitié et à la mémoire queer
Avec Nous Autres, Donna Gottschalk et Hélène Giannecchini avec Carla Williams, présentée jusqu’au 16 novembre 2025, le Bal signe une...
04 juillet 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Nos derniers articles
Voir tous les articles
L'esthétique des luttes en photographie
L'arrestation du féroce chef mafieux Leoluca Bagarella, Parlerme, 1979. © Letizia Battaglia
L’esthétique des luttes en photographie
La photographie est un acte délibéré. Sa fabrication n’est qu’une suite de choix, d’exclusion et d’inclusion, de cadrage, de point de...
24 juillet 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Photographier les récits occultes avec Joan Alvado : Os batismos da meia-noite (1/3)
Os batismos da meia-noite © Joan Alvado
Photographier les récits occultes avec Joan Alvado : Os batismos da meia-noite (1/3)
Le photographe espagnol Joan Alvado compose des essais photographiques où l’étrange, le mythe et la légende s’entremêlent. S’inspirant...
23 juillet 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Zooms 2025 : pourquoi Fisheye soutient Lola Cacciarella au Salon de la photo
Bleu Comme Une Orange © Lola Cacciarella
Zooms 2025 : pourquoi Fisheye soutient Lola Cacciarella au Salon de la photo
Depuis quatorze ans, les Zooms du Salon de la photo mettent en lumière la création photographique. Cette année, Fisheye soutient le...
23 juillet 2025   •  
Écrit par Fabrice Laroche
Les commencements de Claudia Andujar : le regard comme lien
© Claudia Andujar. De la série A Sõnia, São Paulo, SP, vers 1971. Avec l’aimable autorisation de l’artiste / Instituto Moreira Salles
Les commencements de Claudia Andujar : le regard comme lien
Présentée à la Maison des Peintres dans le cadre des Rencontres d’Arles jusqu’au 5 octobre 2025, À la place des autres revient sur...
23 juillet 2025   •  
Écrit par Milena III