#WomenMatter, une exposition collective d’une trentaine de photojournalistes est à découvrir à la Gaîté Lyrique jusqu’au 7 juillet. Sur les cimaises provisoires, monte-charges ou présentoirs mobiles, toutes les femmes représentées reprennent leurs droits et leurs libertés malgré une violence permanente qui les en prive.
Portée par les associations Arty Farty, makesense, l’ONG internationale Singa, Arte et Actes Sud, la Fabrique de l’époque marque l’ouverture d’un nouveau chapitre pour la Gaîté Lyrique. Entre création et engagement social, ce nouveau projet culturel entend répondre à maintes préoccupations artistiques actuelles. Un espace invitant des acteurices de la culture à investir tous les champs de l’art – qu’il soit immersif, musical, pictural, photographique, expérimental ou performatif –, à encourager la circulation d’idées et à « émanciper et décloisonner les publics ». Alors que la Gaîté Lyrique est encore en travaux, elle a ouvert ses portes le 12 mai dernier, et ce pendant un week-end marqué sous le signe du renouveau. Pour l’occasion, carte blanche a été donné au collectif Dysturb, un studio de création, média et agence de conseil.
C’est au premier étage de la Gaîté Lyrique que se déploie #WomenMatter, une exposition collective d’une trentaine de photojournalistes. Sur les murs, monte-charges, présentoirs mobiles, les invité·es privilégié·es du moment nous dévoilent des projets impactant s’intéressant à la condition des femmes à travers le monde et aux violences subies. Eve Arnold, Olivia Arthur, Edu Bayer, Myriam Boulos, Anna Boyazis, Dean Bradshaw, Sabiha Çimen, Bieke Depoorter, Agnès Dherbeys, Kholood Eid, Maika Elan, Alessandro Grassani, Ania Gruca, Julia Gunther, Robin Hammond, Nanna Heitmann, Karolin Klüppel, Susan Meiselas, Cristina de Middel, Inge Morath, Jim Naughten, Benjamin Petit, Lua Ribera, Alessandra Sanguinetti, Chloé Sharrock, Nicole Sobecki, Gaia Squarci, Ilona Szwarc, Newsha Tavakolian, Anastasia Taylor-Lind, Pierre Terdjman investissent les recoins vacants du lieu, comme pour donner aux protagonistes photographiées toute la place qui leur est due.
Le projet Listen s’intéresse aux chanteuses qui ne sont pas autorisées à se produire en solo ou à produire leurs propres albums, en raison des réglementations islamiques en vigueur depuis la révolution de 1979. Les photos sont prises pendant que ces chanteuses professionnelles jouent dans leur tête devant un large public, alors qu’en réalité elles sont dans un petit studio privé au centre ville de Téhéran. La photographe Newsha Tavakolian a ensuite réalisé des pochettes d’album imaginaires pour chacune de ces femmes avec sa propre interprétation de la société iranienne, même si ces pochettes resteront vides. © Newsha Tavakolian / Magnum Photos
De celles qui osent
L’une d’entre elles nous ouvre la voie, de profil, le regard face au reste de la salle. Elles vivent au Kenya, et ont été figées par Dean Bradshaw. Elles sont là, ont pu échapper au rite de passage de l’adolescence consistant en une mutilation génitale, et ont ainsi été épargnées des blessures, voire de la mort, et du mariage forcé. Elles sont quatre comme cela, mais forment un tout. Car ici, c’est d’elles qu’il s’agit : mère, fille, petite fille, libre, survivante, émerveillée, soldate, joueuse de football… #WomenMatter nous parle de toutes ces femmes, celles que l’on a violées, ostracisées, violentées, mais celles aussi que l’on a hissées au rang de reines, cheffe de clan et madones éloquentes. Armé·es de points de vue documentaires, le poing levé pour la représentation nécessaire de la condition féminine, les photojournalistes présent·es ici nous emportent auprès de toutes ces héroïnes en puissance. Sur un fond de musique conçue par des artistes femmes, le regard se dirige à l’unisson vers les travaux aux histoires saisissantes. Si chaque photographe ne présente qu’une ou quelques photographies de leurs séries respectives, réassemblé·es, iels composent une œuvre complexe aux pensées communes.
Les travaux de Donna Ferrari et Susan Meiselas, hébergés entres trois murs se font face et nous parlent des violences domestiques. Tapis dans l’intimité de celles qui le subissent pour l’une, et fouillant dans les rapports de police pour l’autre. Sur des papiers peints grandeur nature, Tanya Habjouqa nous relate une séance de yoga enseignée par des femmes voilées quand Gaia Squarci s’immisce en Mauritanie dans un cours de football, en burqa. Dans l’ensemble, la douceur est plutôt sourde tant certains récits sont difficiles à avaler. Pour quelques tirages, leur petite taille ne fait que révéler l’énorme brutalité de ce qui nous est dépeint. Il y a ces deux images, celle d’abord d’Edu Bayer, dans un salon familial en Gambie, où des filles de sept ans sont assises entourées de leur grand-mère, et hommes de famille. L’une d’entre elles s’apprête à se faire exciser. Puis il y a celle de Kholood Eid, mettant en scène deux sœurs enlacées. La tendresse apparente cache en réalité des viols répétés et perpétrés sur ces jeunes adolescentes durant leur enfance par des amis de leur père. L’horreur nous traverse tout·e entiè·re, nous prend au ventre et au visage. On se demande comment vivre avec ça, comment avancer, gérer les traumas et continuer à espérer… Puis on avance et on sert les dents, pour espérer avec elles, malgré les faits qui nous insurgent et nous révoltent.
Mais dans cette révolte, les rapports de force et de regards sont chamboulés, la fluidité des corps, des sexualités, des relations homosexuelles est exhibée à mesure que les femmes se réapproprient leurs passions. « À la fois fortes et fragiles, déterminées et vulnérables », voici ce que nous sommes. Tout et son contraire, portant un poids qui nous élève, souhaitant avec acharnement un apaisement prochain.
Za’tara, Bethléem, Cisjordanie. 6 janvier 2013. Hayat enseigne le yoga aux habitants de son village. Ses étudiantes sont de plus en plus nombreuses de semaine en semaine. Elles appellent cela de la « résistance intérieure » et le yoga s’avère être une véritable forme de libération pour elles. © Tanya Habjouqa / Noor
Beyrouth, Liban. 14 mars 2015. La série Nightshift se concentre sur des jeunes femmes qui apparaissent à la fois fortes et fragiles, déterminées et vulnérables, dans des fêtes qui tentent de s’opposer au bling-bling mainstream de Beyrouth. Myriam Boulos questionne ici la place des femmes dans une société capitaliste patriarcale où la découverte de soi, l’auto-préservation et la résistance prennent des formes très différentes. © Myriam Boulos / Magnum Photos
À g. Fort Myers, Floride, États-Unis d’Amérique. 6 juillet 2022. Pilotes réfugiées afghanes. © Sabiha Çimen / Magnum Photos, à d. Gashaw Jaffar, Irak. Septembre 2003. Une soldate peshmerga garde un poste de contrôle à la base de Farmanday Peshmerga, aux abords de Souleimaniye, au Kurdistan. © Anastasia Taylor-Lind
États-Unis d’Amérique. 7 août 2019. F et E. ont été victimes d’abus sexuels dans leur enfance. Une trace numérique des crimes continue de hanter ces deux sœurs une décennie plus tard.Extrait de l’article qui leur est consacré dans le New York Times, daté du 9 novembre 2019 : « Il y a dix ans, leur père a fait l’impensable : il a posté des photos et vidéos explicites de ses filles sur Internet, alors qu’elles avaient seulement 7 et 11 ans à l’époque. Beaucoup montrent des agressions violentes dans leur maison du Midwest, parmi lesquelles certaines de lui et d’un autre homme en train de droguer et de violer l’enfant de 7 ans. Les hommes sont maintenant en prison mais, conséquence cruelle de l’ère numérique, leurs crimes trouvent de nouveaux publics. Les deux sœurs font partie de la première génération d’enfants victimes d’abus sexuels dont l’angoisse est préservée, apparemment pour toujours, en raison d’Internet. Cette année seulement, des photos et vidéos des sœurs ont été trouvées dans plus de 130 enquêtes sur des abus sexuels sur mineurs, stockées sur des téléphones portables, des ordinateurs et des comptes de stockage en ligne. » © Kholood Eid pour le New York Times
À g. © Dean Bradshaw pour CPi Reps pour Amref Health Africa, à d. © Gaia Squarci
Tulsa, Oklahoma, États-Unis d’Amérique. 12 novembre 2022. Portrait de Ruby Taylor avec son fiancé dans la maison qu’ils partagent à Tulsa.Ruby avait 19 ans lorsqu’elle est tombée enceinte et il était clair qu’elle n’était pas encore prête à devenir mère. Avec sa mère à ses côtés, elle a mis fin à sa grossesse à la Tulsa Women’s Clinic. Maintenant, elle est fiancée à son partenaire de longue date, et les deux espèrent fonder une famille ensemble un jour. En mai 2022, l’Oklahoma est devenu le premier État du pays à interdire avec succès la quasi totalité des avortements dès le moment de la conception, avant même que l’arrêt historique de la Cour Suprême Roe v. © Nichole Sobecki / VII
Hô Chi Minh, Vietnam. 22 juin 2012. La série Le Choix Rose montre l’amour entre les couples de la communauté LGBTQIA+, en se concentrant sur leurs espaces de vie, leurs gestes affectueux et le rythme synchronisé des ces amoureu·ses qui partagent leurs vies. © Maika Elan
Image d’ouverture © Maika Elan