La série Rimbaud incarne cette liberté, ce destin que Yann Datessen a réussi à accomplir. Pendant quatre ans, le photographe a suivi les pas de l’écrivain, à la recherche de son héritage. Un projet qui se lit comme une volonté de transmettre l’œuvre rimbaldienne aux nouvelles générations. À découvrir aux promenades photographiques de Vendôme jusqu’au 30 août.
Dès son plus jeune âge, le photographe Yann Datessen a été exposé à toutes formes d’art : peinture, dessin, musique, littérature… Vers l’âge de onze ans, il découvre la photographie qui prend, petit à petit, plus de place dans sa vie jusqu’à devenir son métier. Peut-être a-t-il réussi à accomplir le même destin qu’une de ses influences, Nadar – d’abord dessinateur puis photographe. Le 8e art lui permet de raconter ce qu’il n’a pu exprimer avec les autres médiums. Cette réussite s’illustre à travers sa série Rimbaud. Admirateur de Baudelaire, Céline, Bukowski, ou encore Primo Lévi, le photographe puise son inspiration dans la littérature. Mais c’est à Rimbaud que Yann Datessen a réellement dédié sa vie.
Lorsqu’il était en sixième, l’artiste habitait dans des barres HLM à Massy-Palaiseau. Un jour, alors qu’il se rendait chez son meilleur ami sénégalais, il découvre des murs décorés de tapisseries de faune et flore issues de jungles équatoriales. Au milieu de tout cet écosystème trônait un portrait. Yann demande alors au père de son ami qui était ce jeune homme, qui lui répond : « C‘est Rimbaud, le plus grand poète de tous les temps ». Intrigué, il se plonge rapidement dans le célèbre recueil de poèmes Une saison en enfer. Si, sur le moment, la poésie baudelairienne le marque davantage, l’œuvre de Rimbaud l’éblouit finalement quelques années plus tard.
Une quête spirituelle
À la fin de sa trentaine, le photographe se questionne. Des interrogations principalement métaphysiques et rimbaldiennes : pourquoi continuer à faire de l’art ? À quoi sert-il ? Une remise en cause qui éveille en lui le besoin de fuir son quotidien, ses obligations, la ville, et le bruit. Lui vient alors l’idée de réaliser un rêve d’enfant : suivre le parcours emprunté autrefois par le grand poète. Il passe six mois dans la communauté anarchiste Christiana à Copenhague. Peu de temps après, il lit Dans les forêts de Sibérie de Sylvain Tesson. À ces deux évènements s’ajoute l’influence du déterminisme, quelque peu paradoxal, de Rimbaud – sa faculté à choisir ce que l’on est, ce que l’on devient et ce à quoi on aspire – la liberté. L’aventure commençait.
Pour vivre ce périple à la manière d’un romantique, Yann Datessen a imité les premières fugues de Rimbaud, dormant dans la forêt, en plein octobre, pendant sa marche de Charleville-Mézières jusqu’à Charleroi, traversant ruines, blockhaus, fonderies fermées et terres appauvries. La misère de ce territoire, qu’il qualifie de « territoire maudit », marque le photographe. Mais le romantisme ne dure pas toujours, et il en fait l’expérience. Comme le poète, Yann Datessen gravit le col Saint-Gothard en Suisse, à pieds sous la pluie, mais surtout en « mode touriste », quand Rimbaud, lui, le traversait sous une tempête de neige. Un lieu qui marque Yann Datessen car il symbolise l’un des derniers endroits où les correspondances de Rimbaud flamboient, dévoilant une certaine poésie et un lyrisme avant de chuter vers des lettres froides – envoyées à sa mère et à sa sœur. Cette marche que le photographe prolonge durant quatre ans l’aide à trouver son but : demeurer libre, se chambouler, mais surtout, ne pas rester assis.
Accomplir son destin
Le photographe souhaitait illustrer, à travers ses images « l’insoutenable légèreté d’une vie ». Faire le portrait des descendants du poète. Pourquoi Rimbaud s’est-il arrêté d’écrire à vingt ans ? Pourquoi n’a-t-il pas embrassé la même destinée que son amant Verlaine ? En images, Yann Datessen essaie de répondre à ces questions. De comprendre pourquoi on « refuse cette vie de bourgeois ». Ses rencontres au fil du voyage lui ont permis de dialoguer avec des jeunes qui souhaitent reprendre les affaires familiales, qui se sentent bien dans leur monde et ne veulent en sortir. Leur parler de Rimbaud a été une façon pour lui de leur transmettre ses valeurs : le partage, la liberté et le voyage. Les encourager à embrasser et à accomplir leur destin car « après tout, la vie demeure tragique, celle-ci peut se terminer très rapidement, sans raison ou même dans un désert (suite à ses longues marches, le poète développe un cancer de la jambe et rentre à Marseille le 20 mai 1891 pour se faire soigner. Il meurt le 10 novembre de la même année, NDLR) ». Ce qui compte pour Yann Datessen est non la destination, mais le voyage.
Un parcours qui n’est pas facile à assumer dans une région marquée par les fantômes de la guerre franco-prussienne, et des deux guerres mondiales. Le territoire affecte même les générations qui n’ont connu aucun conflit. « Les Ardennes transpirent le drame » selon Yann Datessen. Là-bas, tout s’appelle Rimbaud. Les enfants sont submergés par ce nom, l’identité de ce spectre, sans même savoir qui il est réellement. Peut-être que le photographe incarne-t-il pour ces jeunes le précepteur qui leur fit découvrir qui était ce poète – leur ancêtre après tout… « Le contraste est frappant entre une région où des enfants souhaitent reprendre la fonderie familiale, et les étudiants parisiens », ajoute-t-il. Ce voyage a été pour lui l’occasion de vérifier de ses yeux pourquoi la « France ne donne pas leur chance aux jeunes ». Dans Rimbaud, Yann Datessen conte cette aventure, et comme la sienne – sa solitude durant quatre ans. Ce voyage lui a permis de défendre l’ennui face aux jeunes, à être seul, seul et heureux. Car être heureux, c’est ne jamais s’asseoir.
Rimbaud est à découvrir aux promenades photographiques de Vendôme jusqu’au 30 août.
© Yann Datessen